Han Ryner
Le Soupçon (Antony)
Mercure de juin 1900, page 758
Lien Calameo pour une édition de 2010.
Han Ryner, Le Massacre des Amazones, études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains, Chamuel (vers 1890). Cet ouvrage traite de mesdames Adam, Sarah Bernhardt, Marie-Anne de Bovet, Bradamante, Jeanne Chauvin, Alphonse Daudet, comtesse Diane, Dieulafoy, Tola Dorian, Judith Gautier, Henri Gréville, Gyp, Marni, Daniel Lesueur. Max Lyan, Hector Malot, Catulle Mendès, Louise Michel, Michelet, Camille Pert, Georges de Peyrebrune, Maria Pognon, Rachilde, Clémence Royer, de Rute, Séverine, Duchesse d’Uzés, Hélène Vacaresco, etc., (voir la table des matières). Lien, dans ce site, vers le chapitre traitant de Rachilde
L’auteur, qui jadis massacra des amazones de lettres[1], nous offre aujourd’hui une œuvre très curieuse où nous voyons massacrer la femme pure et simple par le plus effroyable imbécile qu’on puisse imaginer. Il s’agit d’un homme atteint du délire de la persécution vaginale, cas de clinique très révoltant, heureusement rare. Ce Monsieur épouse une vierge sans savoir ce que c’est qu’une vierge et… incapable d’entrer dans la place avec effraction, il reproche, treize ans durant, à cette malheureuse sa personnelle absence de vigueur. Pour se rendre mieux compte de la petite chose en question, il s’efforce de rencontrer d’autres vierges, et, par une sanglante ironie du seul hasard, ça n’est jamais tout à fait une innocente. On se demande comment M. Han Ryner, qui traite si facilement certaines amazones de lettres de perverses ou de folles, a pu prendre ce journal de maniaque pour de la littérature et est arrivé, en le traduisant bien trop fidèlement, à confondre ces répugnantes divagations érotiques avec une saine manifestation d’art. Mais il serait injuste de condamner un auteur sur le choix de simples études médicales. Il vaut mieux passer à… l’autre crime.
Le Crime d’obéir (éditions de La Plume)
Mercure de juin 1900, pages 758-760
Ce roman est sous-titré : « Roman d'histoire contemporaine »
Je sais mieux que personne combien la femme de lettres est une créature dangereuse, vaniteuse, ignorante et, si j’ose dire, consciente de sa propre inconscience, qu’elle érige, selon le vent qui souffle, en génie ou en sottise ; je n’ai jamais fréquenté cette espèce de femelle-là sans avoir à m’en repentir, et mes neuves indignations de bohème, lorsque j’étais encore bien jeune, me poussèrent, au grand mépris de leur salon ou de leur antichambre, à faire imprimer sur mes cartes de ‘visite : Rachilde, homme de lettres. Cependant, je crois qu’il ne faut pas s’exagérer nos situations respectives. Une ou plusieurs femmes de lettres n’empêchent point un écrivain de leur même sexe de se produire au soleil ni ne peuvent éteindre, pour quelques soirées perdues en flirt, un écrivain d’un sexe différent.
Dans le Crime d’obéir, M. Han Ryner me semble obéir, lui, à un sentiment absolument criminel : une vengeance de mâle déçu. Son héroïne, Mlle O. Le Tigre, qu’il affecte d’une bosse qui, renseignement pris, ne lui appartient pas, est douée d’une tout autre infirmité : il ignore son métier. Le Tigre ne sait pas aimer et leurre comme femme d’amour et elle sait encore moins écrire et leurre davantage comme fille de lettres. Voilà ce que Pierre Dapres aurait pu lui reprocher… ou lui enseigner. Était-il de force ? j’en sais de plus courageux et de plus hardis qui eurent l’esprit de s’en tirer… avec une grande politesse.
— Sale allumeuse !… Heureusement qu’aujourd’hui j’ai cent sous pour me payer une putain moins rosse que toi ! — déclare le peintre jovial. À sa place, j’aurais tendu les cent sous.
Les cerveaux puissants ont toujours un sexe (voire deux !). Si O. Le Tigre n’a rien à la place du cœur… il faut la plaindre, il me paraît inutile de l’insulter et d’appeler sur elle toutes les foudres. J’ai pitié d’elle, encore plus du naïf qui l’admirerait comme le résumé de la perversité ou de la littérature. Ce n’est ni une comédienne de talent ni une amoureuse d’absolu… c’est… c’est une femme de lettres. M. Han Ryner est lui-même un homme de lettres en se montrant si acharné sur ce joli cadavre de colombe ! Maintenant il y a un certain type de Toser qui est également trop… frappé. Le pauvre petit juif n’a pas du tout l’envergure malfaisante que lui prête l’auteur. La seule personne à qui très réellement l’auteur fait un mal irréparable, c’est Camille Ramel, car… cette fois, on peut reconnaître vraiment quelqu’un et je doute fort que cette grande fille ambitieuse se soit compromise ou perdue pour un pareil milieu. Le clan des félibres est aussi secoué comme prunier et il en tombe des têtes amusantes. La partie intitulée : le réfractaire, bien meilleure que le début trop province de cette œuvre inégale, sort d’un cerveau tourmenté de fièvres et de très mauvaises passions.