Judith Gautier
Kou-n-Atonou (Colin)
Le titre complet de ce roman est Kou-n-Atonou : fragments d’un papyrus. Lien Gallica
Louise, dite Judith Gautier (1845-1917), est la fille de Théophile Gautier. Judith Gautier a été une femme de lettres particulièrement originale, s’intéressant à l’Orient lointain et proche des auteurs nouveaux. Elle était aussi une wagnérienne convaincue. C’est donc presque naturellement qu’on la trouve siégeant à l’académie Goncourt devant le couvert de Jules Renard en compagnie d’Octave Mirbeau et de Paul Margueritte. Parmi les amis de son père, Judith choisit Catulle Mendès malgré le désaveu de son père, qui connaissait la vie dissolue du fiancé. Théophile Gautier n’assista pas au mariage, qui a eu lieu en avril 1866.
Des broderies de nuances violentes sur des soies indiennes, japonaises ou chinoises de couleur adorablement tendres. Un fonds de grâce orientale et des brutalités furieuses de style d’un effet très original. Une poésie charmante avec assonances bizarres, traduite d’un papyrus très adroitement fragmenté. Mme Judith Gautier garde le secret de ces transcriptions heureuses d’un art perdu en le sien propre, qui est plus viril qu’aucun autre art de femme. On dirait une guerrière égrenant des perles dans un casque sonore… mais elle n’oublie point, quant à l’amour qu’elle chante, de demeurer la séductrice.
Mercure d’août 1898, page 517
Les Princesses d’amour (Ollendorff)
« C’est la volonté d’un grand homme d’état, d’un réformateur, trop audacieux, à mon avis, qui, dans un but politique, a créé de toutes pièces, voilà bientôt deux cents ans, ces princesses d’amour qui peuplent le Yosi-Wara. Fleurs de luxe, de charme, et de beauté, qu’on cultive encore aujourd’hui et qui seront bientôt les seuls vestiges du Japon splendide d’autrefois. Elles disparaîtront aussi, comme tout le reste, hélas !… C’est le fameux usurpateur Tokougava Hieyas, des Minamoto, c’est lui dont la dynastie a donné des shoguns à l’empire jusqu’à la récente révolution. Vous savez combien Hieyas fit d’efforts pour amoindrir notre pouvoir à nous, princes souverains, au profit de son pouvoir à lui ? Il n’y a que trop bien réussi, et, de ce qu’il avait semé, la révolution, après deux cents ans, est le fruit mûr. Lors de son avènement, il exigea des princes qu’ils vinssent séjournera Yédo, la nouvelle capitale, plusieurs mois de l’année avec leurs épouses, dont le luxe devait donner de l’éclat à la cour et dont les personnes précieuses pourraient être retenues comme otage si quelque malentendu survenait. Mais les fières princesses restaient dans leurs châteaux et, s’ils ne pouvaient éluder l’ordre, les daïmios n’étaient présents que de fait dans la capitale, le cœur et l’esprit ailleurs, abrégeaient leur séjour… Quelle perfide et géniale invention ! D’artificielles princesses, choisies parmi les beautés les plus rares, élevées dans tous les raffinements du goût aristocratique, instruites des rites et de l’étiquette, savantes, virtuoses en tous les arts ! Jeunes, toutes, passionnées, dangereuses, enivrantes et… accessibles ! Les princes virent-ils le piège ? En tous les cas, ils s’y laissèrent prendre et tombèrent dans les filets de soie. »
Telles sont les princesses d’amour dont il est question dans le dernier roman de Mme Judith Gautier. En un style clair, aux harmonies cristallines, l’auteur nous raconte une histoire passionnée qui arrive à un fils de ces daïmios, uni par aventure à l’une de ces princesses… artificielles. Les détails donnés sur le Yosi-Wara sont charmants et dans cette ville de joie, qui renferme les derniers vestiges de l’ancienne splendeur japonaise, on retrouve tout l’art, — venu des premiers temps du monde, peut-être de l’âge d’or, — que les bonzes, les rois ou simplement les poètes mettaient à parer l’amour, le luxe par excellence de toute pauvre humanité.
L’entrevue de San-Daï avec L’oiseau-fleur est une chose tout à fait délicieuse et qui suffirait à faire pardonner au Japon et à ses révolutionnaires princiers le manque de tenue dans leurs concepts diplomatiques. Il est très exact, d’ailleurs, que l’amour vénal, dans les pays… chauds[1] et civilisés fut considéré, à toutes les époques, comme une nécessité ressortant de… la civilisation même, et qu’on n’a jamais eu l’idée de l’avilir sous prétexte de l’adopter en des contrées où la liberté de penser s’accorde généralement avec les religions toujours tolérantes au sujet des faiblesses d’ordre humain. Au Japon on est très sévère pour les voleurs et on décapite, comme en Chine, assez facilement, pour des larcins sans importance, mais on permet l’amour qui est le droit au bonheur, ce patrimoine universel, peut-être jadis légué par un Dieu, un dieu plus ancien que tous les autres. « Oui, Dieu existe, mais il y a derrière lui un autre Dieu plus puissant encore que lui, qui s’appelle l’Amour ! » L’oiseau-fleur, déjà courtisane, mais demeurée vierge, est une fille de vrai prince, elle promet sa fidélité à San-Daï et on finit, malgré le séjour au Yosi-Wara, par s’épouser après une suite de péripéties des plus romanesques. La différence entre les civilisations japonaises et celles plus européennes est, en somme, que, dans le grand monde de chez nous, on commence par épouser une jeune personne assez mal élevée sous tous les rapports, pas très vierge quoique très couronnée de fleurs d’orangers et qu’après avoir découvert qu’elle est aussi peu princesse que possible on la laisse devenir tout à fait… Yosi-Wara, en la prêtant à ses amis ou en la leur laissant prendre, ce qui revient généralement au même.
Sans vouloir inférer d’un joli roman et d’une chatoyante peinture de mœurs exotiques une nouvelle philosophie (qui serait aussi vieille que le monde), on pourrait cependant indiquer les princesses d’amour comme modèles aux trop nombreuses féministes enthousiastes de libertés inutiles ou tout au moins hypocrites. La femme moderne, comme sa grand’mère Ève, ne tient, en réalité, qu’à partager avec l’homme son droit à l’amour, droit d’où peuvent, en effet, sortir toutes les libertés, y compris celles que confèrent les sciences médicales, alors elle n’aurait qu’à essayer de se rapprocher de son compagnon par une meilleure entente des partages amoureux. Régner par le Yosi-Wara, qui serait enfin le dernier salon où l’on cause, me semblerait bien plus habile que de s’insulter réciproquement, quelque jour de séance orageuse, dans une Chambre de députés aussi vénale que les maisons closes, mais, malheureusement, beaucoup plus tapageuse.
Mercure de septembre 1900, pages 758-760
Pour Rachilde, qui n’a jamais voyagé, le Japon est un pays chaud.