Tola Dorian
Tamara, Légende circassienne en quatre tableaux (spectacle)
Mercure de juillet 1891 page 52 (chronique dramatique)
— Un grand drame sur une très petite scène. Tamara est une belle princesse, épouse du vieux et puissant chef de tribu Chadji Arbeck. Le regard de cette créature dangereuse porte malheur à l’homme qu’il rencontre. Elle ressemble à ces longues fioles de précieux parfums ou de coûteux poisons, où courent les riches filigranes d’une arabesque d’or, demeurées à l’ombre des étoffes rares et qui, débouchées par une main téméraire, épandent au hasard ou l’odeur des roses ou la mort… — Et Tamara, dans une promenade sur la montagne, pose son regard sur le jeune chef Ishmaël au moment où il soutient la petite Zara, sa sœur, au-dessus d’un précipice : or, ébloui, fasciné, Ishmaël lâche l’enfant, qui disparaît dans l’abime. Scène très étrange et très dramatique, d’une grande sobriété.
Tamara forme un projet ténébreux : elle attire le beau jeune chef dans son nid d’odalisque experte en l’art des voluptés, et, là, elle lui propose de tuer son vieil époux. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle se donnera. Ishmaël résiste noblement ; mais Tamara lui a dérobé son poignard, et elle tue· elle-même Chadji-Arbeck, laissant l’arme dans la plaie afin de pouvoir accuser le jeune chef. Il parvient cependant à s’innocenter aux yeux de la foule accourue, et il tue, à son tour, la mauvaise fée circassienne, qu’il aime malgré ses crimes, il la tue pour l’avoir plus à lui… en l’éternité. — Point de critique à faire d’une légende ; il n’y a qu’à louer l’écriture très personnelle, très solide, aussi très poétique de Mme Tola Doria, et son entente des choses du théâtre. La musique de scène, de M. Fernand Leborne, a bien le caractère sauvage de la légende. Paul Larochelle, transfuge du Théâtre d’Art, a été superbe dans le rôle du jeune héros de la montagne, bien que sa voix portât un peu trop dans la salle minuscule. — Belle chambrée : beaucoup de mondaines, les unes très célèbres, les autres jolies… et le Sar Péladan !