Jean Lorrain
Le Conte du Bohémien (spectacle)
Mercure de janvier 1896 page 124
Lumino-conte de Jean Lorrain, 14 décors d’André des Gachons, musique de scène de Charles Silver.
Le Théâtre minuscule a repris ses intéressantes soirées, on ne peut plus mondaines, au Hall des Cent de la Plume, en nous offrant une première de Jean Lorrain : Le Conte du Bohémien. Ce bohémien, c’est l’Amour libre : L’amour est enfant de bohème, etc., etc… Sur ce vieux thème, le très expert Jean Lorrain a brodé une fort jolie variation couleur de sang et de lune du plus heureux effet lyrique. Mais je n’ai jamais pu comprendre pourquoi cet épisode de l’universel drame, où depuis les filles jusqu’au brin d’herbe tout s’enamoure au seul bruit de la chanson du bohémien maudit, se passait à Nancy plutôt qu’ailleurs ; et il y a même un évêque de Nancy qui ramasse la guitare sans qu’on s’explique bien le sens de ce symbole, ô Lorrain ! Musique exquise pour accompagner la voix de Mlle Mellot, et décor très lumineux d’André des Gachons.
Avant ce spectacle, le Prince naïf, qui, par sincère naïveté, reste jusqu’à ce jour le chef-d’œuvre du genre lumino-conte, et puis encore, avant le Prince naïf, les luminosités de l’antichambre de la Plume, remplie de superbes affiches anglaises.
Un Démoniaque (Dentu)
Mercure d’avril 1896 page 134
Ce texte suit la critique de La Force du mal, de Paul Adam
Sombre pustule rougeoyante de cette éternelle « Force du mal » est la vision terrible — si charmante pourtant — de ce petit asnier du Caire, tué par de mystérieux meurtriers et déposé, gorge béante, sous le menton du grand Sphinx d’Égypte, dans le Démoniaque, de Jean Lorrain. Névrose bizarre, cette façon de prendre l’Amour, l’Eros joyeux, pour un enfant égorgé ! Avec son habituel talent de tortureur de l’équivoque, Lorrain nous présente, en une sorte de fumerie d’opium, le démoniaque mort d’avoir trop cherché la douleur au fond de la volupté, et le succubat s’en mêle, et l’on voit défiler autour du cadavre tout un chapelet profane de pierres précieuses symboliques, fines énigmes de méchanceté durcie, toute une cascade d’étoffes lourdes d’avoir trop étouffé de cris ou étanché de sang ; puis des tableaux espagnols couleur de piment, des récits d’escarpes aux nuances d’eau troublée par la chute d’une pourriture humaine. Enfin le Tout-Lorrain qui s’amuse ! Mais au-dessus de cette vitrine d’horreurs brille, comme une autre pierre fine où transparaîtrait la veinule pourpre d’un corail mêlée au regard bleu du lapis, le style à la fois précieux et naïf de l’auteur.
Une Femme par jour : Femmes d’été, illustrations de Mittis (Borel)
Mercure de septembre 1896 page 542
Une Femme par Jour, pour Jean Lorrain, c’est un paquet de méchancetés très spirituelles qu’il entortille journellement d’un jupon fort élégant. Toutes les rosseries pour la tête, en émail, et qui se change à volonté. Quant aux jambes, ça finit en queue de poisson, comme les plus belles cariatides ! Tantôt il s’agit de l’aimée d’hier, tantôt il s’agit de la désirée de demain. Sous leur voilette on les distingue si mal ! Il y a la chercheuse de frisson nouveau du grand monde, la marquise célèbre que je connais, au moins il l’affirme (sacré farceur… est-ce que j’ai jamais été dans le grand monde ? ...... bon pour Lorrain, ça !) et la rôdeuse des barrières dont le sourire savant fait se pâmer et découvrir des étoiles aux promeneurs vicieux. D’une extrémité à l’autre de leur royaume, ce polisson de Lorrain voltige en faisant ses grâces, un peu hussardes, et ses talons rouges — de pommade raisin ou de sang — écrasent en pirouettant bien des mains de princesses. Un bijou étrange, ce petit livre, tout en long, vert pâle, ou bleu-lotus, couleur de tendre feuillage de ciguë, s’illustrant de silhouettes signées de Mittis, il vous a un air équivoque d’objet vénéneux qu’on glisse dans sa poche en regardant autour de soi avec inquiétude. C’est très joli, très parfumé, très solide même, car c’est écrit par une poigne vigoureuse, mais ce n’est pas honnête du tout (Moi aussi, j’ai mes heures de morale…), et je crois que si Lorrain s’en tire, comme il est juste, puisque c’est lui qui a le talent, ce sera peut-être M. Borel, dit le Lotus bleu, qui se fanera sous les verrous !
Ce Lotus bleu était une nouvelle collection de l'éditeur Borel.
Contes pour lire à la chandelle (Mercure)
Mercure de juin 1897 page 568
Contes pour lire à la chandelle… sur papier presqu’idem[1], par Jean Lorrain. Un Jean Lorrain chaste, candide, avec des yeux d’enfants qui regardent passer des ombres sur une vitre. Il est rare, ce Lorrain-là ! Tout le monde voudra le posséder comme un échantillon de précieux métal avant la fusion. Les reines se promènent sous les arbres en manteau simple et des bons chevaliers cheminent le long des falaises en grande pureté d’intention. Madame Gorgibus[2] fait rire. Madame Maritorne fait peur… Et fait sourire le style blanc, très mousseline de ce premier communiant qui est Jean Lorrain, dont le cœur est toujours d’un métal précieux, même après la fusion.
Le « papier à chandelle » servait à envelopper les chandelles. L’expression a souvent été reprise pour désigner les livres bon marche puis les textes médiocres.
Nous retrouverons cette « Madame Gorgibus » qui sera reprise dans Histoires de masques (Masques de province) qui paraîtra chez Ollendorff en 1900 (284 pages).
Loreley (Borel)
Mercure de juin 1897 page 568
Loreley, nouveau lotus alba[1] vient aussi de paraître signé Jean Lorrain, autre conte mignon et terrible en un format de missel fleuri pour lire… après la messe !
Lotus alba était une collection de l’éditeur Borel, peut-être imprimée par Édouard Guillaume.
Livre de 78 pages paru dans la « Petite collection Guillaume illustrée ». Les illustrations sont de Manuel Orazi (1860-1934), qui a déjà illustré l’Aphrodite de Pierre Louÿs. Édouard Guillaume était un éditeur-imprimeur suisse installé boulevard Brune, à Paris.
Monsieur de Bougrelon (Borel)
Mercure d’Août 1897 pages 340-341
Nouveau lotus bleu[1] de cet impitoyable coupeur de fleurs qui est Jean Lorrain. Paysages de Hollande avec, au premier plan, une grande figure macabre et excessive comme l’était la silhouette dernière du vieux et génial Barbey d’Aurevilly. Bougrelon, l’exilé, semble dater des anciens lions du quai d’Orsay ou du boulevard de Gand2 et ce n’est, du reste, qu’un pauvre bougre… de musicien ambulant. Tous ces récits, où l’on retrouve des mots épiques de Barbey, sont menés d’un train de chasse à courre. Curieux petit livre, peut-être un reliquaire !
La « Nouvelle collection Guillaume » Lotus bleu (à côté de — ou remplaçant) Lotus Alba).
Le boulevard de Gand a été renommé boulevard des Italiens en 1828 mais Rachilde a conservé ce nom en référence aux « lions » et « lionnes » qui s’y promenaient. Voir Auriant, Les Lionnes du second empire (dont le premier chapitre, « Blanche d’Antigny » est dédié à Paul Léautaud), Gallimard 1935.