Paul Adam, gravure sur bois de Paul Baudier provenant de l’édition Crès 1922 de ses Lettres de Malaisie.
La Force du Mal (Armand Colin)
Mercure d’avril 1896 page 134
Des yeux chastes qui, secrètement, pleurent aux heures où ils devraient se fermer, des faibles bras d’adolescents qui veulent trop étreindre, du sein des femmes fécondes, du flanc des femmes stériles, des natures ardentes, des tempéraments froids, du pain qu’on mange, de l’eau qu’on boit, de l’air qu’on respire, de tous et de tout, champignonne, dans une sournoise, lente, mais sure éruption, La Force du Mal. C’est en vain que le bon médecin philosophe, le raisonnable jeune homme désire lutter ; il a contre lui tous les atavismes, toutes les hérésies, et même les sottes lois immuables avec leur cortège de sots gouvernements passagers. Il se sent entraîné, submergé, par cet effroyable courant de pus qui charrie les sociétés vers des océans noirs. Amoureux dévoué, il épousera les pauvres yeux chastes et demeurera impuissant à tarir leurs larmes. Il rêvera de garer au moins sa conscience de la corruption ambiante, et, pour ce, il lui faudra rester pauvre. Portant le vrai remède à une contrée devenue la proie du choléra, il verra son cheval s’abattre sous les coups furieux d’une bande de fous. Et partout, et toujours, la force du mal (qui est peut-être la Vie) repoussera son énergique volonté de faire le bien. Tel est le drame, très large, que Paul Adam a essayé de concentrer dans une étroite existence d’honnête homme. Ce livre vaut à lui seul une bibliothèque de moralistes, et, de plus, contient de très curieuses observations médicales qui intéresseront beaucoup de cliniciens.
Paul Adam (1862-1920), écrivain et critique d’art. Son premier roman, Chair molle (1885), accusé d’immoralité, a provoqué le scandale.
Les Cœurs nouveaux (Ollendorff)
Mercure d’avril 1896 page 134
Séduit par la fiction du phalanstère, Paul Adam développe la théorie jusqu’au bout, c’est-à-dire qu’il la réalise en une œuvre mordante et bien vivante, pour conclure, fort habilement, à son impossibilité matérielle et à son néant moral. Le phalanstère, qu’il soit orné d’usines modèles et théâtrales où les toitures prennent la forme d’oiseaux gigantesques couvant les œufs féconds de l’industrie, qu’il réunisse les hommes, les femmes pauvres, par l’attrait d’un travail rendu presque une distraction tant il est léger, le phalanstère, où tout est en commun et par conséquent tout est aliéné, est une mauvaise utopie parce qu’il représente encore une image de la société officielle, risquons le mot : de l’ordre. Aussi, le héros de cette légende de demain est-il la première victime de ses compagnons ouvriers, trop bien vêtus, trop bien nourris, qui sont même trop bien nettoyés pour la joie de leurs sales instincts. Paul Adam nous prouve que tous les hommes ne sont pas égaux, et ce qui tend à les rendre solidaires les uns des autres est criminel parce que cela empêche le normal développement de leurs facultés individuelles. L’homme trop dévoué à ses semblables, c’est-à-dire le héros de Paul Adam, traqué par les grévistes de sa mine qu’il croyait être celle du bonheur, n’a plus, vers la fin du roman, qu’à se réfugier dans les bras d’une ardente et vaillante individualiste, belle, riche, aristocrate de goûts, qui l’aime pour elle et pour lui seulement. Le transfuge de l’amour social a trouvé sa voie. Qu’on enchante un être ou qu’on en secoure mille, ça revient au même, en se plaçant un peu plus haut que l’atmosphère terrestre.
L’Année de Clarisse (Ollendorff)
Mercure de mars 1897 page 599
L’Année de Clarisse est l’histoire très rapide, cependant complète, d’une jolie fille d’amour moderne. Depuis l’aventure, à la hussarde, de Clarisse tentée par la robustesse d’un officier en garnison dans la ville où elle déploie ses grâces et sa science de comédienne, jusqu’à la fugitive vision d’un Eros androgyne montant à bicyclette, la vie s’écoule, pour la jeune folle, en actes charnels, voulus, seulement consentis, tolérés à peine, désirés vaguement. Elle est le luxe de la luxure, simplement mais avec un esprit de jolie bête qui a le soin de ses attitudes. Elle ne se fait ni morale ni souci, parce qu’elle a l’énorme tourment de mener sa chair à de plus parfaites joies. Intellectuellement, elle y arrive si peu, que l’on devine l’année suivante veuve de tout bonheur. N’en déplaise au terrible moissonneur de préjugés qu’est Paul Adam, le mauvais pli de l’âme est bientôt pris en présence des perpétuelles défaites du corps. Clarisse n’aime que par un résultat prévu, trop prévu, elle n’a pas la double extase. Elle se récite souvent les pièces qu’elle jouera dans les coulisses de son alcôve, malgré elle, non parce qu’elle est née comédienne, mais parce qu’elle se joue de son véritable metteur en scène : son pauvre joli corps dévoré d’un désir d’au-delà qui n’existe au moins pas pour les sens trop vulgairement intéressés. Si l’Année de Clarisse ne prouve rien en faveur du sport charnel, son écriture prouve toujours que Paul Adam fait ce qu’il veut de son très grand talent.
La Bataille d’Uhde (Ollendorff)
Mercure d’août 1897 page 341
Pour moi, la plus belle et la plus forte des œuvres de Paul Adam. Ce n’est pas seulement la preuve d’une habileté rare dans les annales du métier, mais aussi celle d’un don d’extraordinaire double vue. Il a composé nettement et sans exagération romantique ce type de soldat chef qui regarde les choses du haut de son cheval et les fait, sous nos yeux de pauvres civils, comme se cailler dans du sang. C’est la critique et l’éloge, certes, de ces hommes bizarres du dernier empire, légers, égoïstes, mille fois plus courageux qu’on ne le pense, car ils l’étaient d’une façon géométrique. Cette discipline d’une armée, dont tous les personnages ont peur, en détail, et donnent, en bloc, de si furieux exemple de courage, c’est la logique même de la guerre, sa beauté. Et à travers le grondement de ce fleuve majestueux, des lettres de femmes, petits ruisseaux bafouilleurs, où s’épanchent de trop petites âmes, mal éprises. Trois épisodes sont de la vraie gloire (pas peut-être pour le colonel de Raxi, pour Paul Adam) : la conversation de l’état-major penché sur les cartes, le viol des femmes à Sondrio et l’exécution du zouave condamné par le conseil de guerre à payer tous les viols en une seule mort. Je suis ahurie et ravie qu’un écrivain puisse avoir fait cela, cette page de la mort du zouave ! Il me semblait, en la lisant, que, redevenue tout enfant, j’étais assise encore sur les genoux d’un grand officier grave[1], disant, du haut de son impériale, pendant que je frottais voluptueusement mon oreille aux durs brandebourgs de son dolman : « Oui, ma mignonne, c’est très ennuyeux de tuer ! » Et si Paul Adam eut un père hussard, qu’il comprenne mon émoi.
En réédition, du même auteur : Le Vice filial.
Le père de Rachilde, évidemment.
Lettres de Malaisie (Ollendorff)
Mercure de novembre 1897 pages 559-560
Après le chef d’œuvre de la Bataille d’Uhde on pouvait se reposer, mais notre intrépide camarade ne s’arrête jamais. (Je me demande comment il a pu prendre le loisir de se marier[1] ?) Voici un vrai feu d’artifice des fantaisies les plus folles et les mieux déduites. Cette création d’une société libre, éprise de tous les luxes… et de toutes les luxures, donne l’impression d’un roman de Jules Veine pensé par un Villiers. Réduire l’amour à la simple pratique de politesses sexuelles, en exclure le tragique et le pittoresque pour les remplacer par une condescendance qui n’est ni la prostitution ni la morale, c’est le songe de l’auteur, ou, mieux, du diplomate quelque peu sensuel qui écrit de Malaisie les lettres ironiquement naïves que l’on a eu déjà le plaisir de lire dans la Revue Blanche2, et puis toute une réforme des lois et de l’éducation devait s’en suivre. Rien d’original comme la façon dont un inventeur philosophe découvre des choses par l’aspiration des fluides amoureux d’un groupe d’érotomanes. Je crois qu’on peut tirer le… rideau après celle-là. Les Lettres de Malaisie inaugurent la première série d’éditions de la Revue Blanche. Adorné d’un brin de myrte ou de laurier, la couverture, sévèrement blanche et noire, tout à fait en habit, un peu clown anglais, de ce volume, donne une bonne opinion de la nouvelle librairie à laquelle nous souhaitons, ici, les meilleurs succès.
Paul Adam (1862-1920) vient d’épouser, le 24 juin, Marthe Meyer (1877-1961).
La Revue blanche a été fondée à Liège en décembre 1889 par les trois frères Natanson. Deux ans plus tard en octobre 1891, la revue, bimensuelle, s’installe à Paris au 19, rue des Martyrs, dans le quartier de naissance de Paul Léautaud. Son nom de La Revue Blanche, à la couverture parfois illustrée sur fond blanc proviendrait de son désir de concurrencer le Mercure de France et sa couverture mauve. La tendance de cette revue est nettement à gauche et dreyfusarde. Elle cessera de paraître en mai 1903 au bout de 237 numéros.
Le logo des éditions de La Revue blanche pour cette première parution.
Les Tentatives passionnées (Ollendorff)
Mercure de mai 1898, page 545
Les mille et une facettes du génie de Paul Adam. Des nouvelles dans ce genre factice où excelle l’auteur. Factice, mais vraiment génial, car il crée et fait vivre des êtres et des situations voulus rêvés chimériquement. Si Paul Adam veut relier ses livres par un fil conducteur comme ceux de la Comédie humaine, il le peut, dès à présent. Il aura été le Balzac moderne. Je ne connais personne qui puisse posséder mieux que lui le sens (et surtout l’âpreté froide des sensations) de la vie telle qu’elle devrait être à l’heure actuelle. Peut-être… telle qu’elle est, et lire la Hideur de l’amour pour se rendre compte de la merveilleuse facilité d’adaptation du style d’Adam au milieu et aux êtres. Le récit d’un officier poursuivant des Annamites et la névrose d’une femme introduite dans un centre barbare… Et ces deux phrases : « Mais… il a décapité votre fille, Madame. » Et la femme, aveugle et sourde, rendue folle par la… technicité brutale du barbare, répondant, sans autre explication : « Sales eunuques, tas d’eunuques français ! » Tour de force de métier constatant par une sûreté admirable de touche, le tour de force mystérieux et dompteur. Pour cette phraséologie elliptique, si spirituelle, je donnerais bien des volumes épais traitant les névroses chez les petites françaises. Je crois qu’Adam les connaît, les petites femmes en question !
La Force (Ollendorff)
Mercure de mars 1899, pages 751-752
Dédicace à Gustave Larroumet
Ce roman est paru en feuilleton dans La Revue de Paris à partir de juillet 1898.
Une longue course à travers les guerres du consulat, trop longue peut-être, car toutes les étapes finissent par se ressembler. On a moins l’impression de la force que celle d’un caractère essayant de se dégager malgré la dureté vulgaire de la nature qui l’enveloppe. Le soldat Héricourt, rival en beauté, en grandeur et en césarisme du tout petit Napoléon, n’arrive pourtant, parti sous le même rayon d’étoile, qu’à se faire casser les deux jambes. Son intelligence n’a pas les replis profonds de l’Autre. Il hésite à parler de lui, à faire une injustice et amoureux aussi de sa sœur, il tâche de purifier son amour pour en savourer seulement la gloire. Or en guerre comme en amour la violence ne va jamais sans la ruse. Héricourt est bon soldat, mais ce n’est point un conquérant. Il restera colonel sur un beau cheval turc jusqu’au moment où le destin, l’ayant assez berné, lui coupera les deux jambes. Ce livre est terriblement documenté, il fourmille de jolies anecdotes, et l’orgie des Français au château morave, devant un malingre savant qui défend son grand œuvre une petite épée de cour à la main, en est une des meilleures pages, seulement il demeure essoufflant pour le lecteur, et, si épris de stratégie que l’on puisse être, il est dur de courir tous les dangers de ces merveilleuses campagnes traîné à la queue du cheval d’un héros.
Basile et Sophia (Société d’éditions littéraires)
Mercure de décembre 1899, page 761
L’écrivain le mieux fait pour parler de la majesté perverse et somptueuse de Byzance ! Un livre illustré or et bleu où l’on voit des mœurs de grandes mondaines fort proches des nôtres. Sophia, successivement mystique, courtisane et amazone, est une curieuse créature peinte sur fond de verrières illuminées par un soleil de sang. Par extraordinaire, les illustrations de ce livre sont jolies.