Hugues Rebell
Le Magasin d’Auréoles (éditions de la Revue blanche)
Mercure d’août 1896 page 348
M. Hugues Rebell est un violent : l’aménité de ses façons, la correction exquise de sa tenue, la douceur obligeante de sa voix, tout indique en lui l’âpre tourment de déguiser aux voisins la passion de son premier mouvement d’âme, et ce disparate se retrouve, naturellement, dans ce qu’il écrit : Le Magasin d’Auréoles est de la bonne école des ironistes, avec une pointe d’anarchisme tout à fait délectable. Il nous dit l’histoire d’un saint, mort martyr, qui fut le pire ivrogne et le pire débauché, puis nous démontre que Cartouche, innovant les Ravachol, ne désirait que le bien du pauvre monde en dévalisant les gens riches. Frère des conteurs anglais par son verbe extrêmement urbain, et proche cousin des faiseurs de mémoires du XVIIIe siècle par l’élégance de sa phrase, il retient l’attention en ayant l’air de glisser à la mansuétude quand il faudrait tonner contre les mœurs et vice versa (Beaucoup plus de vice que de versa, d’ailleurs !) Si ce n’est un auteur moral selon l’expression chère à M. Bérenger, c’est sûrement un auteur que M. Bérenger doit lire avec plaisir sans s’en apercevoir. M. Hugues Rebell est un violent, mais un violent de bonne compagnie, il est agréable à lire comme il est agréable de boire une boisson acidulée aux heures chaudes du jour, et si la fraiche boisson tourne souvent à l’amertume du pire poison, il nous la sert dans un tel gobelet d’argent ciselé qu’on ne peut que lui rendre grâce.
La Nichina, Mémoires inédits de Lerenzo Vendramin (Mercure)
Mercure de juillet 1897, pages 145 à 147
Une justification de tirage apposée au revers du faux-titre de ce gros livre nous le représente en miniature : la beauté enivrant la force, une femme, aux lignes molles et grasses, cambrée voluptueusement, offrant la liqueur d’une amphore à un mufle de tigre chimérique. C’est l’histoire violente d’une courtisane de la renaissance italienne, écrite selon la manière des mémoires de Casanova. Dans un article élogieux et presque documenté, ma foi, M. Bauër[1] nous a montré trop solennellement nue la belle fille d’Hugues Rebell pour qu’il soit maintenant bien la peine d’insister sur ses dessous. D’après notre éminent confrère, La Nichina s’appareille à l’Aphrodite de Pierre Louÿs en ce sens qu’elle fait le même antique métier : « Ce sont deux courtisanes », dit-il un peu comme il dirait que Balzac et Barrés sont deux écrivains parce que leurs deux noms commencent par un B. Cette douce manie du parallélisme est une des cinq plaies de la grande critique ; il faut qu’elle compare ou qu’elle se taise, et elle se tait, généralement, faute de comparaison. M. Bauër, plus clairvoyant, cependant, que le reste de sa famille, trouve la différence par le contrôle judicieux des semblables, ce dont il est urgent de féliciter son flair d’algébriste, histoire d’encourager les Autres !
Ce dessin était présent (via un cachet) sur tous les premiers tirages des livres d’Hugues Rebell. Nombreux étaient les auteurs marquant ainsi leurs livres afin de décourager les contrefacteurs. L’image reproduite ici, de meilleure qualité que le malheureux scan de Gallica provient d’un exemplaire du roman d’Hugues Rebell : La Femme qui a connu l’empereur. (voir le compte-rendu ci-dessous)
La Nichina
« Les deux romans s’appareillent par les similitudes de la condition des héroïnes, par la liberté des peintures, par la licence des situations et des postures, par la richesse de la documentation, mais le tempérament des auteurs est foncièrement différent : celui de M. Louÿs est tout en charme troublant, en grâce un peu maladive, en exquise décadence ; au contraire, la forme violente, fougueuse, emportée de M. Hugues Rebell brûle de passion. Elle ose tout voir, tout dire, et du diable s’il est possible de répéter tout ce qu’elle voit et tout ce qu’elle dit ; mais l’artiste ne met aucune complaisance de libertinage dans sa fresque. Il va jusqu’au bout de sa vision en vérité et en sincérité. Sous le pinceau énergique s’anime la couleur brutale qui restitue toutes les faces étranges et puissantes de l’époque, orientées autour de la courtisane. On dirait d’une ressouvenance des toiles de Tiepolo. »
Voici donc les deux héroïnes attelées au même char de Vénus, traînant l’homme. Seulement, je ne suis pas de l’avis de M. Bauër quand il prétend que l’artiste ne met aucune complaisance à voir trainer cet homme dans toutes les ornières et dans tous les ruisseaux. Fichtre ! Hugues Rebell ne passerait pas 484 pages à nous narrer les désordres des moines chez les filles si cela ne l’intéressait point jusqu’au libertinage, ce spécial libertinage de l’artiste qui consiste à croire que c’est arrivé sous sa plume. Et le chimérique mufle de tigre boit toujours, lapant le vin, la sève, le sang, il boit au galop, pressé d’en boire davantage, tandis que la ligne pure des cuisses de la jeune beauté couchée semble s’épaissir, grossir un peu la hanche, le mollet, et arrondir principalement les deux courbes, en double lune, qui deviennent le centre même, le motif de la composition. (Voir encore la délicieuse justification du tirage !) Ceci dit pour taquiner légèrement le très remarquable écrivain qu’est M. Hugues Rebell, car, s’il a fait long, il ne paraît pas, du reste, qu’il en soit le moins du monde essoufflé vers ses derniers chapitres ; il garde jusqu’au bout de sa course échevelée à travers la tragique époque de cette renaissance italienne, si féconde en tueries, sa netteté de vision, son habileté du dialogue, la malice de traits et de portraits. Le paysage de la fin du prologue, où, sur un fond opalisé d’étoiles, notre Tiepolo moderne dresse les femmes en manteaux serrés à la taille et agitant fiévreusement des voiles comme pour aviver l’éclat de leurs yeux, n’est pas plus tendre ni plus évocateur de folies que celui qui clôt le livre, camée riche fermant un corsage sur une épaule demeurant frémissante de plaisir, où l’on aperçoit dans un ciel bleu, trempé de lait (adorable phrase, si précise et si lumineuse), de grosses voiles rouges, glissant aux lagunes, dernières buées de sang, et où l’on songe, brutalement, à l’art d’accommoder les carpes, sauce Bolonaise, aussi les jeunes amies faciles et toutes crues, sans aucune précaution d’amour ! Dans un article spécial, il sera reparlé, au Mercure, des triomphes de la Nichina ; mais j’ai voulu dire, ici, ma personnelle admiration qui n’est pas exempte, ainsi que toutes les admirations naïves, de quelques effrois. Allons-y de mon petit parallèle : j’aime la Nichina parce que je subis l’opulence de sa beauté, que je la sens éternellement vivante, et je regrette l’Aphrodite ; mon amour pour celle-là s’augmentant de ce qu’elle est morte douloureusement. Le piège le plus fort, c’est encore les larmes et il n’est pas de fard plus durable, même au front des filles de plaisir, que la pâleur de la souffrance. J’en veux à la Nichina d’être heureuse.
Henry Baüer dans L’Écho de Paris du douze juin.
La Femme qui a connu l’Empereur (Mercure)
Mercure de novembre 1898 pages 449-451
Lorsque parut ce roman dans le Mercure de France, je me gardai bien de le lire[1], préférant une impression entière à la lecture du détail de cette œuvre qui a coûté, certainement, pas mal d’efforts psychologiques et un assez grand travail de document au très courageux auteur qui l’entreprit. Je joindrai mon courage personnel (il en faut, de nos jours, pour oser dire ce que je vais dire ici) à l’énergie un peu sinistrement ironique d’Hugues Rebell. Cette œuvre contient une belle et bonne action : la réhabilitation de l’empereur Napoléon III. Mon Dieu, oui. De ce que Napoléon III fut trahi par la plupart de ses généraux en 70 et de ce que, mal marié peut-être et toujours victime de la femme, haute galanterie ou absolue légitimité, il fut beaucoup plus malheureux que coupable, on en a voulu faire le prince bandit par excellence et, d’après les bandits trop princiers que nous faisons florir à notre douce époque, il semble considérablement anodin comme malhonnête homme. Avec le ton d’un romancier de mémoires, Rebell fait parler des femmes qui ne sont guère, du reste, Madame de Sévigné, mais qui montrent autant leur… que du temps béni du grand siècle et, se peut-il, de notre propre temps, si j’ose m’exprimer ainsi. « Ce sont là racontars d’office et point de salon ! » Oui-là, et du meilleur office, de celui des chasses de Compiègne. Je n’ai pas à raconter l’histoire de la dame ayant connu et servi cette pauvre loque humaine d’empereur, le dernier président de république française qui sut faire un peu rigoler la France, doux pays qui crèvera de ne plus rigoler et de s’embourber dans le respect de la loi, qu’on oublie toujours d’appliquer, comme ces fameux remèdes qui doivent guérir sur leur seule réputation. Il y a dans ces récits ultra-galants des archevêques à la crosse légère et des chambellans saouls du seul vin du souvenir ; les femmes du monde, baronnes ou comtesses, sont de simples catins et les catins ont des sentiments dignes d’un meilleur monde ; mais, malgré les longueurs, le soin encombrant des décors et le langage patois des domestiques, rendant vieillots certains chapitres, il faut préférer ce roman à la Nichina : il n’est pas écrit pour le plaisir d’étaler des nudités et des crudités. Durant sa publication, bien qu’en me bouchant les oreilles, j’en ai entendu dire beaucoup de mal. À le lire, en fermant de temps en temps les yeux sur les paragraphes que l’on sait, j’y ai trouvé le plaisir qu’on trouve toujours à constater chez un auteur, le dédain de tous les partis pris. « Les libéraux de toutes les époques sont ceux qui désirent sortir de prison pour enfermer les autres à leur place », pense l’un des héros de ce livre, et il partage la haine de l’auteur contre tous les plébéiens révoltés qui, ayant souffert de petites souffrances, ne rêvent, en somme, que de petits bonheurs pour eux et leurs voisins de table. Aujourd’hui on a la juste mesure de ce que peuvent les grands mots proférés par de petits esprits. Il y aura toujours des sots gobant les péroraisons ronflantes et toujours des députés, vêtus en ours blancs, pour exploiter les sots, par-dessus tout il n’y aura plus beaucoup de princes Napoléon ayant l’intelligence de laisser mettre en face d’un peuple, qui a besoin de la douche du fer pour apprendre à penser quelques canons, par un beau matin, clair ou brumeux, de décembre. Moi, j’aime Napoléon III pour ce qu’il eut la force de prendre la responsabilité des crimes de de Morny, je l’aime parce qu’il était triste, mystérieux, réellement philosophe et qu’il savait souffrir physiquement avec éducation. Quant à 70… je préfère 70 à la défaite de l’État-major actuel[2], c’était plus meurtrier mais peut-être plus utile, sinon plus glorieux, car tout ce qui nous débarrassera d’un tas de gens à la fois ce sera toujours bien, l’exercice du droit divin, quoi ! Peste ou guerre, il est nécessaire de faucher les imbéciles de temps à autre, dût-on perdre à ce jeu innocent quelques intelligences, et trop d’êtres intelligents ce serait aussi tellement monotone ! Il suffit souvent qu’il n’en reste qu’un3… et qu’on puisse être celui-là. Napoléon III était un anarchiste qui avait réussi. Maintenant les anarchistes qui ne réussissent pas s’appellent Ravachol.
Par « parution dans le Mercure de France », Rachilde pense à la parution en feuilleton dans les numéros de janvier à avril de cette année 1898.
Cet « État-major actuel » est en pleine déroute face à la débâcle de l’affaire Dreyfus.
Allusion au vers de Victor Hugo, farouche opposant à Napoléon III, arrivé au pouvoir par son coup d’État du deux décembre 1851. Dans les derniers vers d’Ultima verba datés de l’année suivante (14 décembre 1852 mais indiqué « deux décembre »), le proscrit écrit, à propos des opposants exilés :
Si l’on est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !
Les Châtiments, livre VII/XIV, Pléiade 1967 page 213.
Lien Gallica
Lien GoogleBooks
Page Hugues Rebell du site leautaud.com
La Câlineuse (Revue blanche)
Mercure de janvier 1900, page 194
Un roman bien parisien, ultra parisien ; après la Nichina et la Femme qui a connu l’Empereur, celui-là vient en son temps et il est beaucoup plus amusant que les autres. Il contient cette merveilleuse vérité qu’on ne saura jamais trop redire : « Les gens de lettres font tous guignol avec leurs sentiments. » L’histoire de Mlle Juliette, la fille, est simplement le récit des banales aventures d’une fille, rien de plus, rien de moins… vous direz ce que vous voudrez, mais avec du linge soulevé, sinon des toges, on fera toujours plaisir à des tas de gens ! Alors on peut laisser crier des petits camarades… d’autant que les bons petits camarades crient en dedans… Demain, M. Rebell pourrait bien devenir le Zola du roman d’amour ! du train dont il marche ! Ça ne serait pas prudent de crier trop fort : « Un peu cochon, mais très gentil ! »
Lien Gallica
La Camorra (Revue blanche)
Mercure de juillet 1900, pages 212-213
Il me serait plus facile, et surtout plus agréable, de détailler ce que l’auteur a voulu faire que de vous donner le compte rendu de ce livre extraordinairement intempestif. La Camorra, c’est la police des assassins mise en regard de la police du gouvernement. L’œuvre, toutes les œuvres, prose ou vers, de l’auteur nous représentes les lois littéraires en face des lois bourgeoises. Ça vous est égal qu’à Naples du temps où François II… Oh ! Parfaitement ! Moi aussi, mais vous devez savoir que Naples est comme une amoureuse qui aime battre et à être battue ! Or, l’habileté, une habileté féroce de l’auteur, est d’avoir bien compris que le boulevard (il existe, je crois, un boulevard qui lit) est exactement dans les dispositions d’esprit de Naples… d’où nous vient tout le mal. Le beau bandit Ascalona, la fille d’Albion dénommée Helen, froide, mais perverse, Dom Prina, Dom Natale, Fortiguerri, Scamler, Malaspina et tous les autres ne sont, au cours de ce roman forcené, que pour administrer une raclée au boulevard qui ose encore lire. La manière de ces fantoches est d’une simplicité merveilleuse : on prend, au premier chapitre, un lieutenant de bersaglieri qui n’a ja-ja-ja-mais voyagé et on le promène de maisons nobles en trattoria, d’alcôves en placards et de ruelles infectes en infectes ruelles, on viole, on étripe, on rosse et on baise jusqu’à ce que tout le monde soit mort, particulièrement les femmes. Et puis, on ferme !
Cette littérature a un vague rapport avec le gant de crin. Je suis d’ailleurs pour le gant de crin, mais avec peu de crème d’amandes. Maintenant, il y a, sans rire, un noble effort à tenter : la rénovation du beau feuilleton littéraire du temps d’Alexandre Dumas. Je ne sais si Hugues Rebell y songe, mais il y va tout droit ; seulement il lui faudra se dépouiller encore de beaucoup de préjugés, par exemple, celui de l’esprit. Le Français d’aujourd’hui n’aime que l’absurde, l’esprit lui représente une pierre bien inutile dans la mare fétide et noire de son goût grenouillant ; je conseillerai donc à l’auteur de la Camorra de ne pas trop user de ce condiment et le reste passera mieux.
Sous-titré : Roman d’aventures napolitaines et dédié à Alexandre Natanson. 430 pages.
Lien Gallica
La Saison à Baia (Borel)
Mercure de mars 1901, page 769
Le petit livre est l’œuvre d’un parasite romain et a déjà paru dans le Mercure sous un autre titre. C’est élégant, correct et éperdument sensuel comme la vie moderne. Ça ne me donne pas du tout le respect de l’antique, et c’est pour cela que c’est tout à fait bien une Saison à Baia. Dans la préface, Hugues Rebell, avec une malice très amusante, blague Sienkiewicz et les bons snobs. Il a joliment raison, même sans tant de petites femmes nues.
Lien WikiSource