Sienkiewicz (Henryk)

Quo Vadis ? (Revue blanche)

Lien Gallica pour l’édition de 1909.
Lien Wikisource.

  1. Nicholas Wiseman, Fabiola ou l’église des catacombes, traduit de l’anglais pour Casterman en 1858. Nicholas Wiseman (1802-1865) ecclésiastique anglais brillant, archevêque de Westminster en 1850.

Cette œuvre est probablement fort bien traduite du polonais, mais elle ne semble pas l’être suffisamment du latin. Sur une moyenne de vingt pages on rencontre au moins une centaine de mots latins qui ne sont là, au milieu des mots polonais ou français, que pour donner la fameuse couleur locale et je me doute que cela dut grandement réjouir les… ignorants. Si l’oleotechium représente le dernier compartiment des bains, nous n’éprouvons qu’une joie relative à apprendre que le dernier compartiment des bains s’appelle l’oleotechium, car français ou en polonais ça ne nous servira pas. Quo Vadis ? est un roman énorme de près de 700 pages. Il est trop long. Il nous représente en un tableau historique, comme savent les faire les prix de Rome, les premiers chrétiens se groupant, chœur vêtu de blanc pur, devant l’orgie romaine (rien de Prosper Castanier !) qui ruisselle de pourpre, de vin et de sang. Pétrone domine l’œuvre de sa figure bien moderne de dilettante, à la fois brave, léger et spirituel. Ces figures-là sont du reste éternelles comme la philosophie devant le défilé grotesque de toutes les religions. Un jeune patricien, Vinicius, joue le rôle, toujours un peu bête à force d’être classique, de l’amoureux qui se convertit par amour, et Lygie c’est la vierge chrétienne dans toute… sa nulle beauté. Néron artiste, déguisé en Robert de Montesquiou de son temps, m’apparaît là-dedans comme un grand méconnu dont on aurait pu tirer mieux que sa tête de brute. J’oublie de mentionner que Quo Vadis ? est un roman moral. Mais il est furieusement long et point sensiblement meilleur que ce fameux petit livre donné en prix d’excellence aux jeunes filles qui s’appelle : Fabiola ou l’église des catacombes[1]. Quo Vadis ? aura certainement un grand succès dans la foule des lecteurs qui aiment à revoir des sujets connus comme on aime à repasser une leçon faite, et les mots latins chatouillent toujours la pédanterie de ceux qui préfèrent, et pour cause, la lettre à l’esprit d’un texte.

Mercure d’août 1900, pages 486-487

Par le fer et par le feu (Revue blanche)

Mercure de janvier 1901, pages 167-169

Première traduction française d’Antoni Wodzinski et de Bronisław Kozakiewicz. L’œuvre originale est parue en Pologne en 1884. Elle est la première d’une trilogie. Ce premier roman sera suivi, en français, du Déluge (traduit par les mêmes pour la Revue blanche en 1901) et de Messire Wołodyjowski (mêmes traducteurs et édition) en 1902, qui semble avoir eu moins de succès en France.

Les trois romans d’Henryk Sienkiewicz présentés ici avec La Mort des dieux de Dmitry Méréjkowsky, provoquent un compte rendu commun et peu amène de Rachilde qui, avec le Quo Vadis ? du même Henryk Sienkiewicz, nous avait déjà donné son opinion sur cet auteur.

Bartek le victorieux (Ollendorff)

Mercure de janvier 1901, pages 167-169

Lien Gallica pour une autre édition. Ce roman a été écrit et traduit en français avant la trilogie évoquée ci-dessus.

En vain (Perrin)

Mercure de janvier 1901, pages 167-169

Traduction de Gaston Lefèvre. Il semble s’agir d’un des premiers romans (1872) d’Henryk Sienkiewicz et de la première traduction en Français de ce roman.

Lien Bibliothèque numérique romande

  1. Voir la note 1 au compte rendu de Quo Vadis ? ci-dessus.

  2. Voir la note 2 du compte rendu de La Plus belle histoire du monde, de Rudyatd Kipling.

Avant de commencer l’an et de recommencer la vie ordinaire du romancier, qui est de dire quelque mal des romans en général ou quelque bien de certains livres en particuliers, il me semble très nécessaire de liquider les Sienkiewicz dont je possède tout un tas sur ma table. La littérature polonaise, n’étant, comme chacun sait, située nulle part, va s’acclimater chez nous, et je n’y vois pas d’inconvénient, puisque ce n’est pas plus mauvais qu’autre chose, mais je tiens à signaler, au sujet de l’exotisme neigeux, comme l’a prononcé si bizarrement un prince de la critique, un singulier déraillement de l’esprit d’a propos chez les éditeurs. En aucun lieu du monde l’éditeur n’est plus platement mouton de Panurge qu’en France, et en aucun lieu plus férocement mercanti, bien entendu. S’il joignait le flair à l’amour de l’argent, on lui passerait encore sa profonde malhonnêteté. Seulement, voilà, il est bête, bête-mouton par-dessus tout, et il n’a pas plus que la pierreuse d’en face la notion de la pudeur. Ni retenue, ni sang-froid, ni vision de l’avenir. Tout individu à collet de fourrure lui apparaît le Monsieur qui doit monter parce qu’il fera du feu ! Ça lui est égal que le gendarme (l’avenir, ce gendarme de Dieu) lui réserve un effroyable passage à tabac des œuvres qu’il publie. Il marche ! L’éditeur marche comme une grue, comme une montre, comme une vieille pendule à répétition. Quand il lui arrive de gagner de l’argent, car tout arrive, il perd absolument la tête et il va, il se précipite sur tous les collets de fourrure semblables au premier qui eut l’audace, ou la charité, de monter pour faire le feu. On peut affirmer qu’en France l’éditeur est le personnage capable de tuer le génie et de répandre la médiocrité, non pas à cause de son mercantilisme, mais à cause de sa prétention passagère en flair intelligent. Le premier Sienkiewicz était long, lourd, indigeste et sensiblement inférieur au roman des pensions religieuses : Fabiola ou l’église des Catacombes[1]. Son succès, dès le début, étonna un peu les éditeurs de ce livre, gens point éditeurs dans le sens que je donne plus haut à ce vocable. Édouard Drumont, qui n’en rate pas une, fit de la réclame. Comme tous les catholiques, mercanti ou autres, il songea au mouvement néo-chrétien, qui est une balançoire qu’on agite quand on ne sait plus quelle barbe juive tirer, et, juste retour des choses d’ici-bas, il mit au grand jour la gloire d’un juif polonais, car c’est ainsi que l’on dénomme Sienkiewicz dans certains milieux d’où le flair est exclu !.. Là-dessus, tous les éditeurs marchèrent et eurent leur Sienkiewicz, ce qui, enfin, permit aux lecteurs de s’apercevoir que le feuilleton nationaliste pouvait enrichir des Israélites absolument innocents de toute espèce de nationalisme polonais. Par le fer et par le feu, Bartek le victorieux. En vain, etc… il en est que l’on fait, je pense, fabriquer de toutes pièces par les traducteurs, et ce ne sont pas les moins bons. C’est une inondation, une bouillie qui s’écoule en nappe épaisse et cela prend beaucoup de place. Les heureux mercantis ne voient pas qu’ils tuent un Monsieur par la publicité, car il est des auteurs que la publicité flanque le nez dans la poussière et qui perdent toute notoriété littéraire du même coup. Ils veulent avoir leur Sienkiewicz, ils en éternuent ce nom à toute boutique pleine et ils le vomissent à flot sur tous les coins de la France. Ils choisissent même des auteurs russes, pour s’offrir du néo-christianisme à rebours, tel que La Mort des dieux par Dmitry de Méréjowsky. Ça n’a aucune importance, pourvu que ça sente le polonais ; or j’ai entendu un éditeur déclarer devant moi que la Russie ou la Pologne c’était, pour le lecteur, la même chose en ce moment. On peut s’attendre à voir refleurir des vieux romans déjà édités sous la signature de dames moscovites comme étant des Sienkiewicz. Que voulez-vous? Après Aphrodite, il y eut l’aphroditisme en librairie, et cela finissait, tant la littérature devenait effroyablement pimentée, à ressembler à la contagion d’une maladie honteuse.

Et voilà comment l’absolue sottise, doublée de la vénalité qu’on sait, des éditeurs français, nuit encore plus qu’elle ne sert les auteurs polonais de toutes les nations. Le premier Sienkiewicz n’était pas curieux, mais il avait le mérite de nous rappeler des souvenirs d’enfance approuvés par un évêque ; le second est ennuyeux, mal traduit si nous voulons être poli avec un Polonais ; il a 720 pages ce qui est abuser un peu de la patience du lecteur ; quant aux autres, ce sont de fort piètres œuvres, y compris les œuvres russes donnant le mouvement néo-chrétien à l’envers. Il faut s’attendre à voir venir l’auteur français nous imitant le Sienkiewicz comme dans un fauteuil ! Il y aura de beaux jours pour ceux qui ont le combat de gladiateurs facile, et on reverra les Romains de la décadence, toujours les mêmes Romains, les mêmes fouettages d’esclaves et les mêmes repas où l’on mange couché sur des lits relativement modem style. Seulement, l’année prochaine, qu’un auteur fasse quelque chose de son cru ayant l’apparence d’une histoire néo-chrétienne ou polonaise, les éditeurs prendront un balai, parce que le lecteur embêté, saturé de littérature indigeste abondant beaucoup trop dans le même sens, ne voudra même plus entendre éternuer devant lui, car il supposera tout de suite qu’on lui propose encore un Sienkiewicz. Oui, il a du flair l’éditeur ! Mais pour la passade, jamais pour s’offrir un collage sérieux. Et c’est pourtant à cet homme de trottoir, étalagiste mais point érudit, que l’on confie des réputations à faire… ou du génie à tuer. Pour nous résumer, si le Sienkiewicsme tient jusqu’au printemps prochain, ce sera pour lui son anéantissement complet. La province est très fermée à toute compréhension littéraire, mais elle marche d’après Paris : et Paris ne marche déjà plus, littérairement parlant. Avant deux mois, l’ordre régnera à Varsovie2, c’est-à-dire que le grand critique Machin aura découvert que les Polonais imitent les Russes et que par conséquent la Pologne n’est plus située nulle part. Amen ! C’est alors qu’il sera juste dédire quelque bien, fleurs jetées sur une tombe, de Quo vadis, œuvre d’un talent patient, sinon original, dont personne ne se souviendra plus.