Camille Mauclair
Les Clefs d’or (Ollendorff)
Mercure de décembre 1896 pages 563-565
La première phrase de cette critique est la suite de la critique précédente, du roman de Paul et Victor Margueritte : La Pariétaire.
Jusqu’au moment psychologique où Camille Mauclair vient m’offrir Les Clefs d’or pour en sortir. Je suis un peu embarrassé pour parler convenablement de ce livre parce qu’il est un écriteau, des plus indicateurs, posé au carrefour des nombreux chemins déjà suivis par Camille Mauclair. Après la docte Eleusis, cité de rhétorique où achevait froidement de buriner son style froid le jeune homme très amoureux d’art que nous connaissons tous, après les chants plaintifs, plus frémissants de douleur et de joie mystérieuse, des Sonatines d’Automne, et les sulfureuses clartés d’une Couronne de joie inaccessible au vulgaire, voici que ce même jeune homme, délaissant les hauteurs des purs frontons grecs, se livre lui-même sur un plat d’argent ! Peut-être l’attendions-nous là, ceux qui aiment son talent pour ce qu’ils veulent aussi qu’il devienne du génie. Je n’aurai pas la prétention d’analyser la préface où il explique ce qu’il ouvre avec ses clefs d’or ; j’ai visité seulement, en amateur, les palais radieux et sombres, dont il connaît les portes, et je crois bien, simple impression de touriste pressé, que le Narcissisme n’est plus l’école de Mauclair. S’il lui en reste assez pour mêler de l’égoïsme à de vraies souffrances, comme on mêlerait la ligne du marbre à la courbe de la chair, il n’y en a pas trop ! Ce nouvel auteur n’est plus l’esclave de la beauté sculpturale ou picturale, il écrit davantage la vie, et dans son triomphe exaspéré d’avoir enfin brisé le cercle magique, il donne un peu la mort comme on donnerait son cœur, car elles meurent toutes, les gardiennes des seuils, mais elles meurent en d’intenses frissons. Du fond de la fontaine limpide et glaciale est monté tout à coup un bouillonnement de sang, la phrase droite s’est assouplie, est devenue plus humaine, et plus chaude, et plus rouge, et plus belle, parce que moins belle, moins artiste. Je pense qu’il faut à Camille Mauclair un héroïsme fou pour écrire nerveux, alors qu’il voudrait, d’instinct, écrire impeccable. Félicitons-le d’essayer de fausser son jugement de rhéteur pour tâcher d’y voir plus proche et plus profondément. Très vieux philosophe, ce jeune écrivain, extraordinairement travailleur, qui n’eut, en somme, que le défaut d’avoir beaucoup trop tôt tout le talent désirable, semble, maintenant, reconnaître qu’il ne savait pas, puisqu’il savait tout dès sa naissance, et il apprend quelque chose de terrible : à oublier. Il entre à l’école du sensualisme, une école également aimée de la foule, qui est une femme, et des hommes de lettres qui… n’en sont pas moins hommes ! Descendant des sommets où l’on a le vertige de tout embrasser, il va toucher, avec des mains brûlantes, l’existence et des existences. Par le sensualisme poussé jusqu’à l’art de la divination, des esprits comme ceux de Pierre Louÿs, de Marcel Schwob et de Camille Mauclair, en trois genres totalement différents, peuvent obtenir d’un seul effort de volonté, c’est-à-dire de passion contenue, épurée, la palme du génie qui est aussi celle du martyre de leur âme de poète, de penseur, ou d’homme. Le Regard dans l’infini, le Triomphe dans les ténèbres et le Démon du baiser de Camille Mauclair sont les trois reflets de ce que peut livrer le miroir de la vie à un sensitif voulant vivre tout le frisson de son âme. Le Morceau sur Salomé est peut être une menace de l’ancien Mauclair, mais j’ai confiance quand je relis la Mauvaise heure ou le Chant sur les yeux. C’est par la cruauté vis-à-vis de soi et des autres, c’est par l’effort de tous les gestes et de toutes les absolutions que l’on voit juste et en soi et en les autres. À tenter un effort d’art, ensuite, et à réussir son œuvre, il faut tout sacrifier, même la joie de rêver la perfection.
Le Soleil des morts (Ollendorff)
Mercure de juillet 1898, page 230
Ce roman est d’abord paru en feuilleton dans La Nouvelle revue de février à mai 1898.
Encore un roman dont toute la jeune littérature, à voix basse, dit du mal malgré qu’il vienne d’un jeune. Cette œuvre vaut, justement, par ce qu’elle contient de froide et précise vérité. Les types sont un peu trop saisis sur le vif ? Avec quoi fera-t-on de la vérité, alors ? L’auteur, si vous allez au fond de l’histoire, ne se ménage guère lui-même. Maintenant il répète un peu trop souvent qu’il fait partie de l’élite et il parle de cette élite comme si ça existait. Mais ça lui passera. Il est déjà revenu des coteries, des cénacles et des petites chapelles. Il sortira de l’élite par la porte de l’Ennui. En tous les cas, il y a une curieuse tête de femme illuminante et je ne crois pas que ce soit la Loïe Fuller[1]. Elle est belle et vivante et, par sa brutale logique, sa seule raison d’être, elle dispense la vie et la lumière de sa chair aux pauvres moribonds qu’elle achève quelquefois de tuer et c’est très bien. Moi, lecteur, il me suffit qu’un livre soit à la fois bien conçu et bien écrit pour que je m’en contente ; je ne cherche jamais tant de dessous noirs à une couverture jaune.
Loïe Fuller (Mary Louise Fuller, 1862-1928), danseuse américaine célèbre pour les voiles qu'elle faisait tournoyer dans ses chorégraphies de danse serpentine.