René Boylesve
Le Médecin des Dames de Néans (Ollendorff)
Mercure de juin 1896 page 441
Le médecin de tous les vagues à l’âme, c’est l’adultère. Voici une idée bien… parisienne ! Une provinciale s’endort dans le calme plat d’une petite ville où nous retrouvons quelques types de Balzac, de ces anciennes connaissances qui font toujours les mêmes gestes, et un médecin-philosophe imagine de réveiller la belle au bois dormant par le contact prolongé d’un petit collégien timide. Il s’ensuit ce qui doit s’ensuivre. La dame pêche, puis le collégien se jette à l’eau quand il s’aperçoit que l’endormie, trop éveillée, va pêcher avec un autre. De très bonnes pages de sensualités, et, dominant tout le livre, la silhouette d’un précepte un religieux qui meurt d’avoir vu son élève en état d’amour.
L’œuvre de René Boylesve (René Tardiveau, 1867-1926) est souvent inspirée par ses souvenirs d’enfance ou de voyage ou, parfois, de l’histoire de la Touraine. Il sera académicien français en 1918. Son nom sera le premier cité par Paul Valéry lors de son discours de remerciement à l’Académie française, le 23 juin 1927, six mois après sa mort. Voir Les Nouvelles littéraires du 26 janvier 1926.
Les Bains de Bade (Bibliothèque artistique et littéraire)
Mercure de janvier 1897 page 199
Les Bains de Bade, après le petit livre en long de M. Rod, sont, en large, un troublant réactif. Quelques demoiselles de félicité vous font des invites, dès le seuil, et au cours de la folle histoire on rencontre presque autant de papes et de philosophes marchant de travers que dans la Nichina. Noceur et délicat d’expression, ce petit missel de polissonnerie me paraît destiné à hanter les ruelles les plus distinguées… où Pogge aura bon dos !
Cette critique suit celle de L’Innocente, d’Édouard Rod, désigné ici comme un « petit livre en long »
1. La Nichina, d’Hugues Rebell, sera critiquée dans le Mercure de juillet 1897.
Sainte-Marie des Fleurs (Ollendorff)
Mercure de décembre 1897 page 891
En l’espace de deux ans, j’ai dû lire douze romans se passant à Venise. Je ne veux pas le reprocher à René Boylesve, mais je me demande pourquoi, quand on professe l’horreur du snobisme, des modes parisiennes et des mœurs de polichinelles, on tient au cadre le plus moderne possible pour son tableau où deux amants, peu soucieux de la vie contemporaine, sont en présence. Enfin, après Barrès, et Léon Daudet, on est toujours heureux d’arriver troisième polichinelle du nom et je laisse à l’omble les neuf autres, tout aussi intéressants, d’ailleurs. Sainte-Marie-des-Fleurs est l’église de Florence la plus propre à exciter au coup de foudre. Nos deux héros se rencontrent la première fois sous le porche de cette église, puis, plage du Lido à Venise, puis gondoles, puis des Ziem, coucher de soleil, lever d’aurore, et des fresques d’Angelico, et des Botticelli. La partie la plus curieuse de cette amoureuse aventure se passe à Passy, d’où la jeune personne écrit des lettres naïves et fait des visites chastes à son amoureux. Mais il y a le traître Arrigant, le prétendu riche dominant la situation et ayant des idées sur l’inutilité du romanesque dans la vie. On retourne à Venise. Gondoles et refresques d’Angelico. Enlèvement, toujours chaste. Arrigant épouse après duel et coups de revolver. Je crois que le jeune homme est trop chaste. Cependant il a le joli courage de l’avouer, ce qui est bien. Le livre se termine en grisailles parisiennes. Les Ziem ne sont que pour l’heure des transports de tendresses où ils détournent, à propos, nos amants d’étreintes plus directes. Je ne conseillerais pas, cependant, aux mères de laisser lire cela aux jeunes filles. Ça pourrait leur apprendre que le flirt est comme le snobisme de l’amour.
Lien Gallica pour l’édition de 1914 du Livre contemporain
Lien Gutenberg
Lien Altramenta.
Le Parfum des îles Borromées (Ollendorff)
Mercure d’août 1898, page 518
Non, je n’aime pas les exotismes, mais j’aime toujours les romans bien écrits, en quelque pays qu’il plaise à l’auteur de les faire se passer. Mme Belvidera est adultère. Gabriel Dompierre est amoureux et Carlotta meurt d’avoir été trop belle. Il y a un Anglais moderne, des gens qui ont des allures de trouble-fête et de buffles marchant dans des fleurs, mais cela est vibrant, bien composé pour plaire en chatouillant les sens et le cœur. J’aime les tortures du jeune amant et sa façon de sentir la pourriture des feuilles mortes sur la peau de sa maîtresse. Une belle scène quand il court à travers flots, vents et marées, pour rejoindre la bien-aimée qui se porte comme un charme… Hélas ! Un charme fatal. Je ne dis pas ces choses pour amuser René Boylesve, dont je pense certain mal, mais, par acquit de conscience, car si je n’aime pas l’exotisme, je suis, je crois, une exception en France, et c’est le droit d’un auteur de choisir tel parfum qui lui convient, afin de le mélanger à son encre. Il y en a trop qui préfèrent l’empoisonner, cette encre, et qui ont tort, en dehors de toute question d’art.
Lien Gallica pour l’édition de 1902
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Mademoiselle Cloque (Revue blanche)
Mercure d’avril 1899, page 182
L’histoire d’une vieille fille. Il était hardi de tenter le roman de la vieille provinciale démodée, honorée, honorable, et toujours un peu victime de ses traditions René Boylesve, se dépouillant tout d’un coup de ses exotismes voulus et de certaines grâces trop gracieuses à mon humble avis, a réussi amplement celle œuvre difficile surtout en ce qu’elle devait contenir de très simple. Mlle Cloque a une nièce et elle est entourée de socialo, types bien réels, pas chargés pour un sou. Et puis l’ouvroir de charité ! (Je le connais celui-là… Travaillant les yeux baissés auprès de ma grand’mère, j’y entendis dire ceci à la lectrice de livres pieux : « Une page sur la Chasteté ! Passez cela, Mademoiselle, passez tout de suite ! ») et puis le clergé et ses reconstructions d’église, et puis… le beau Monsieur noble seul épouseur convoité qui épouse une juive, je pense. Et les joyeusetés scientifiques des adversaires de la Basilique… Mais Mlle Cloque a connu Chateaubriand. Elle vit dans un rêve dont elle ne sort que pour tâcher de remettre de l’ordre, car l’ordre est la poésie de la province. Elle meurt pour avoir vu un tout petit désordre d’amour. Il en faut si peu aux oiseaux du ciel quand ils tombent sur la terre ! C’est autre chose que joli, habile et élégant : c’est fort, d’une force d’existence sincèrement reconstituée.
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