Dernier refuge (Perrin)

Mercure d’avril 1896 page 135

Ce texte suit la critique de La Douleur d’aimer, de Jules Bois.

Dernier Refuge de M. Rod, histoire de me rafraîchir l’imagination. Assez réussi pour une douche, ce livre-là. Imaginez le nu salon, froidement blanc et or, d’une sous-préfecture lointaine. Un milieu solennel où il n’y a rien, car M. Rod a découvert l’art merveilleux de nous celer ce qu’il pense durant trois cents pages, et il arrive même, le long de ces trois cents pages, à nous dissimuler totalement la trace de son fameux talent de psychologue (voir les prières d’insérer). Côté droit, un inventeur qui n’invente pas ; côté gauche, une femme à col de cygne qui ne parle pas, devant un mari industriel qui ne veut pas comprendre et derrière un associé absolument inutile à la marche de l’intrigue. L’inventeur et la dame se rencontrent… que dis-je, ils ne se rencontrent pas dans une garçonnière meublée par la maison Bourget et Cie[1] (grand assortiment de faux tapis turcs et d’abat-jour de soie rose garantis mauvais teint). À la fin, comme ça pourrait embêter le lecteur de voir qu’Elle ne vient jamais, il y a une explication de l’amant avec le mari, qui persiste à ne pas comprendre, et… les deux amoureux-automates filent à l’anglaise sous un ciel italien. Là, ils se tuent parce que, situation vraiment poignante, ils continuent à n’avoir rien à se dire ! M. Rod, en cultivant cette plante d’ornement, si chère aux petites Françaises, qu’on nomme « l’adultère », s’efforce d’en obtenir une variété à fleur simple, sans odeur ni saveur, dont on puisse, dernier refuge, faire un purgatif. C’est là une idée de thé suisse, morale entre toutes. Il conviendrait pour sa récompense de lui décerner…

Cette critique est suivie de celle concernant le roman Le Prix Montyon, d’Alexandre Boutique.

  1. Paul Bourget (1852-1935), écrivain et essayiste catholique. Ses premiers romans ont un grand retentissement auprès d’une jeune génération en quête de rêve et de modernité. À partir du Disciple, en 1899, Paul Bourget s’oriente davantage vers l’étude des mœurs et les sources des désordres sociaux, qu’il relie parfois à la race. Paul Bourget sera souvent cité par Rachilde comme contre-exemple d’une littérature elle aussi un peu décadente.

L’Innocente (Ollendorff)

Mercure de janvier 1897 page 199

Quand M. Édouard Rod veut être simplement l’honnête homme d’auteur froid qu’il est, il reste intéressant. Je ne l’aime guère dans les grands cris de passion, qu’il pousse trop en Genevois docte et raisonneur. L’Innocente est un excellent dessin aux trois crayons (vieille dame, jeune homme timide, mère malheureuse), d’un peintre peu lumineux comme tons de chairs, mais fort consciencieux toujours vis-à-vis de l’académie.

Le Ménage du pasteur Naudié (Fasquelle)

Mercure d’octobre 1898 page 201

Le pasteur Naudié est un fort brave homme chargé de famille et de vertus, qui épouse en secondes noces une coquette assez capable de tout. Elle le trompe comme il convient et il divorce au grand scandale de ses ouailles. On est plein de pitié pour ce pauvre pasteur et, bien qu’il mérite son sort à cause de sa trop profonde naïveté, on est de cœur avec lui, de cœur seulement, tout le long de son douloureux calvaire. Édouard Rod a-t-il voulu dans cet ouvrage démontrer que le mariage d’amour était le contraire d’une vocation religieuse ? Je le pense. En tous les cas, les trois ou quatre situations ridicules de ce prédicateur en face d’un tempérament passionné suffiraient à prouver que l’apparence du célibat est au moins nécessaire aux serviteurs de Dieu. Roman froid, soigné, toujours suisse[1], mais intéressant par son effort continu sur l’humanité réelle du drame.

  1. Édouard Rod (1857-1910) était suisse.

Au milieu du chemin (Fasquelle)

Mercure de mai 1900, pages 478-479

Un homme de lettres aimé, heureux, lu, s’arrête devant sa dernière œuvre et se demande si elle peut faire du bien à l’humanité. Une jeune fille s’est tuée en feuilletant l’Amour et la mort du même. Et voilà notre auteur perplexe. La jeune fille qu’il ne connaît pas est la maîtresse de son meilleur ami. Reperplexité. Enfin après des crises de remords presque religieux, l’auteur de l’Amour et la mort se décide à épouser sa propre maîtresse pour nettoyer sa vie et prendre une autre route. Voilà un bon roman moral… et une dernière malheureuse, car il lui faudra écouter des sermons le reste de sa vie. Mieux vaut encore se tuer sur la page finale d’un livre d’amour. D’ailleurs une œuvre intéressante et probe.

Ce roman est paru en feuilleton dans la Revue des deux mondes à partir de décembre 1899.