Édouard Rod

Dernier refuge (Perrin)

Mercure d’avril 1896 page 135

Ce texte suit la critique de La Douleur d’aimer, de Jules Bois.

Dernier Refuge de M. Rod, histoire de me rafraîchir l’imagination. Assez réussi pour une douche, ce livre-là. Imaginez le nu salon, froidement blanc et or, d’une sous-préfecture lointaine. Un milieu solennel où il n’y a rien, car M. Rod a découvert l’art merveilleux de nous celer ce qu’il pense durant trois cents pages, et il arrive même, le long de ces trois cents pages, à nous dissimuler totalement la trace de son fameux talent de psychologue (voir les prières d’insérer). Côté droit, un inventeur qui n’invente pas ; côté gauche, une femme à col de cygne qui ne parle pas, devant un mari industriel qui ne veut pas comprendre et derrière un associé absolument inutile à la marche de l’intrigue. L’inventeur et la dame se rencontrent… que dis-je, ils ne se rencontrent pas dans une garçonnière meublée par la maison Bourget et Cie[1] (grand assortiment de faux tapis turcs et d’abat-jour de soie rose garantis mauvais teint). À la fin, comme ça pourrait embêter le lecteur de voir qu’Elle ne vient jamais, il y a une explication de l’amant avec le mari, qui persiste à ne pas comprendre, et… les deux amoureux-automates filent à l’anglaise sous un ciel italien. Là, ils se tuent parce que, situation vraiment poignante, ils continuent à n’avoir rien à se dire ! M. Rod, en cultivant cette plante d’ornement, si chère aux petites Françaises, qu’on nomme « l’adultère », s’efforce d’en obtenir une variété à fleur simple, sans odeur ni saveur, dont on puisse, dernier refuge, faire un purgatif. C’est là une idée de thé suisse, morale entre toutes. Il conviendrait pour sa récompense de lui décerner…

Cette critique est suivie de celle concernant le roman Le Prix Montyon, d’Alexandre Boutique.

  1. Paul Bourget (1852-1935), écrivain et essayiste catholique. Ses premiers romans ont un grand retentissement auprès d’une jeune génération en quête de rêve et de modernité. À partir du Disciple, en 1899, Paul Bourget s’oriente davantage vers l’étude des mœurs et les sources des désordres sociaux, qu’il relie parfois à la race. Paul Bourget sera souvent cité par Rachilde comme contre-exemple d’une littérature elle aussi un peu décadente.

L’Innocente (Ollendorff)

Mercure de janvier 1897 page 199

Quand M. Édouard Rod veut être simplement l’honnête homme d’auteur froid qu’il est, il reste intéressant. Je ne l’aime guère dans les grands cris de passion, qu’il pousse trop en Genevois docte et raisonneur. L’Innocente est un excellent dessin aux trois crayons (vieille dame, jeune homme timide, mère malheureuse), d’un peintre peu lumineux comme tons de chairs, mais fort consciencieux toujours vis-à-vis de l’académie.