Henri Rainaldy
La Pâture▼ — Delcros▼ — Escarmouche▼
La Pâture (société libre d’édition des Gens de lettres)
Mercure de mars 1897 pages 596-597
La Pâture, d’Henry Rainaldy, nous est offerte en petites tranches de fruits amers (que de pessimistes !) fort adroitement [sept lettres manquantes]es. Une teinte d’anarchie les dore et le safran de l’ironie les poudre à plaisir. Ce pourrait être du naturalisme et c’est beaucoup mieux de l’observation. Trois histoires de régiment, Dans une Pension d’officiers, Au Camp, Les Mouches ont des Poux, y sont très faites malgré leur sobriété, leur apparente négligence de la conclusion. Don précieux à constater : un violent qui écrit bien et ne s’emballe pas à faux.
Delcros (Société libre d’éditions)
Mercure de février 1898, pages 542-543
L’auteur de ce roman s’est déjà fait remarquer par une série de nouvelles originales, Pâture, que j’ai lue, jadis, avec grand plaisir. Des nouvelles courtes, des images de la vie de caserne et des bourgeois parvenus à s’y soustraire avec philosophie. Cette fois, il s’agit d’un enrégimenté de force. Un anarchiste, bien entendu. Henri Rainaldy écrit d’une façon rapide et très simple mais très vivante. Il ne cherche pas ses effets et les trouve tout naturellement : « Il écrivit, par délicatesse, une lettre banale. » Ces petits traits-là sont fréquents et il en résulte de l’esprit, non pas le fameux esprit d’auteur, une espèce d’ironie froide, tranquille, un peu déconcertante qui fait tourner les pages avec intérêt et aussi avec une angoisse de voir tout à coup l’auteur tomber dans le fameux réalisme convenu. Mais il a bien son style. Je ne connais guère que Darien qui plaisante à froid de cette manière et amuse tout en faisant passer de petits frissons le long du dos. Le chapitre qui contient la tentation du frère par la sœur, une fille qui s’ennuie et réclame le mâle avant le protecteur naturel est une belle chose, soutenue sans effort par la simplicité des moyens, la grande sobriété des termes. Ce roman finit tristement pour la société. Delcros fabrique des bombes et monte sur l’échafaud avec le courage tranquille de Ravachol. Ceci pourrait-être la conclusion : « Pour le bien, il fit le mal ; pour le bonheur des autres il commit un crime. » Êtes-vous sûr, Monsieur Rainaldy, que le bonheur des autres ne soit pas presque toujours un crime ? Mais je ne saurais trop vous bénir de citer, ironiquement, l’exemple de Jésus « qui envoya pour l’amour de l’humanité ses frères dans la tombe ! »
Escarmouches (Société libre d’éditions)
Mercure de mars 1899, page 755
Ces courtes anecdotes sont très amusantes et ont, entre elles, un farouche lien de haine rouge contre la bourgeoisie, ce pour quoi je les aime… malgré qu’on y parle copieusement de l’Affaire et qu’on y défende ce roi des bourgeois qui s’appelle Zola. II y a surtout vers la fin un document bien curieux : la démission d’Alexandre Boutique, directeur de la société libre d’éditions des gens de lettres. Boutique protestant contre boutique. C’est drôle. Moi, je trouve que Zola est, en effet, très habile, sinon très patriote, mais il ne me viendrait pas à l’idée de sortir brusquement de chez moi parce qu’il y entrerait, geste de M. Boutique. Sur le terrain du talent on s’entend toujours… et qu’importe les toutes petites Affaires ? Qui s’en souviendra dans vingt ans ! Les affaires passent, les livres demeurent. Boutique à treize que le fond de juiverie de toutes ces fureurs, patriotiques ou non. Il a bien de l’esprit, l’auteur, mais il lui manque la cruauté du dilettante. Espérons qu’il y viendra. L’indifférence aux choses du moment c’est… l’arrière-boutique du sage.