Lucien Muhlfeld
Le Mauvais désir (Ollendorff)
Un roman spirituel (et ils sont rares), qui commence par la plus étourdissante consultation que puisse donner un brave homme d’avocat à une jolie femme : « Étant admis, Madame, que votre premier mari vous fait une pension alimentaire et que celui que vous épouseriez en seconde noce ne saurait, dignement, profiter du même aliment, je vous conseille de ne pas l’épouser. Comme amant, ce sera plus… rationnel ! » Bien moderne. Ce pauvre second illégitime devient jaloux à propos de rien et à propos de beaucoup de choses qu’on lui cache. On le trompe et, pour en avoir mieux la preuve, il trompe. Seulement ils sont pincés. Or, on peut parfaitement être pincé sans le vouloir et même sans le savoir. Plus ils tirent sur leur chaîne, plus ils se rivent le cœur. Un jour, la chaîne casse, mais un cœur sur deux éclate, celui de la femme, et elle meurt d’une consultation d’avocat rentrée, pas moins, la pauvrette. On est bien moderne, bien spirituel… seulement l’amour est éternel et va toujours, quand c’est le grand, vers l’immortalité. Le Mauvais Désir, c’est d’essayer de lui couper les ailes. Ce petit roman-là est plein de jolies trouvailles psychologiques et d’encore plus jolis mots. Il n’est ni malpropre, ni pervers, il est intime et sent la violette fanée comme si, dès la première page, un bouquet de deuil s’écrasait, déjà mort sous les caresses, entre les deux seins un peu bas de Renée Aubert.
Mercure de novembre 1898 pages 454-455
La Carrière d’André Tourette (Ollendorff)
Très sérieuse étude de mœurs sur ce que je me permettrai d’appeler : le demi-maque. (Ça manquait à la collection des demi-choses dont notre ère (fourmille)[1]. André Tourette est un très brave garçon, mais il a la fâcheuse habitude de coucher pour rien, ce qui l’entraîne un peu plus loin que les bienséances. Puis il se marie honnêtement et continue. C’est un bon bourgeois qui n’aime pas le travail ni l’effort cérébral en aucun genre. Il est aussi incapable de commettre un crime que de perpétrer une belle action. Je pense qu’il représente une bonne moitié de la population mâle parisienne tant bourgeoise qu’artistique. Comme à Paris, il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes, il est naturel que les femmes finissent par travailler pour ces messieurs comme sous les tentes arabes. Le roman de Lucien Mulhfeld est consciencieusement écrit et avec la retenue ironique convenant au sujet.
Mercure d’août 1900, pages 488-489
Ce roman est enrichi d’illustrations d’après des dessins de Cappiello. Lucien Muhlfeld, né en 1870, va mourir dans deux ans, en décembre 1902, à l’âge de 32 ans pour avoir mangé des huîtres pas fraîches. Il n’aura eu le temps d’écrire que trois romans, un tous les deux ans : Le Mauvais désir (1898), La Carrière d’André Tourette et L’Associée (1902), tous trois chez Ollendorff.
Relire à ce propos le compte rendu de L’Heure sexuelle de « Jean de Chilra » (Mercure de juin 1898) : « Nous sommes à l’époque des demi-mesures, des demi-vierges, des demi-sexes, des demi-prostitutions et aussi, hélas, des demi-succès de librairie. »