Albert Lantoine

Elisçuah▼ — Les Mascouillat▼▼ — La Caserne▼▼▼

Elisçuah (Bibliothèque artistique et littéraire)

Mercure d’août 1896 page 349

Elisçuah, d’Albert Lantoine, est aussi une restitution antique, un peu bien soucieuse de la couleur locale, s’embarrassant de menus détails comme une chinoise dans la petitesse de sa chaussure, cependant fort intéressante pour toute la partie qui concerne les tourments amoureux de la reine Hégla (je dis reine : est-ce reine, en hébreu ?) On sent que l’auteur a durement pioché son histoire d’Israël, seulement il a gardé le gros livre trop près de ses yeux, il voit toujours le texte ; se reculant, il eût mis le flou d’une longue perspective, un peu de la nuit du doute, si propice aux illusions. En préface, un portrait d’Albert Lantoine… agréable restitution moderne.

Les Mascouillat (Bibliothèque artistique et littéraire)

Mercure d’octobre 1897 page 232

Ce sont des mœurs de Province et elles sont fort bien décrites, dans toutes leurs vulgarités, dessus et dessous. Le style de l’auteur est un peu dur à lire car il rappelle beaucoup la manière de Camille Lemonnier quand il part à travers les paysages rugueux des contrées de Happe-Chair. Cependant, dès les premières pages, on sent quelqu’un qui n’écrit pas pour étonner son lecteur, mieux pour lui faire saisir tous les reliefs d’un site barbare et plein de barbarismes. Les filles de Mascouillat n’ont pas de préjugé. Elles sont filles dans l’âme et le père ne se fâche que lorsqu’il en découvre une enceinte. Bals de société, fêtes foraines, ces deux tentations éternelles des petites citadines, voient éclore leurs très banales passions. Une fraîche statuette de vierge à demi-brisée, amuse tous les vieux messieurs de la ville d’Arras, et l’autre, plus estimable et plus solide catin, abonde du côté des jeunes gens. Il y a des scènes d’un ridicule intense et point exagéré. (On ne aura jamais assez de quel ridicule puant la province, du Nord ou du Midi, suinte !…) Le roman, des tranches d’existences saignantes, se découpe en tableaux, sans intrigue, et sans aucun souci de conclusion. Le patois grossier de ces demi-civilisés et de leurs demi-vierges est extrêmement curieux, sinon toujours compréhensible. Une scène foraine, la mort d’un vendeur de pastille du sérail, le pauv’Hady, suffirait à parfumer tout le livre et à montrer toute la force littéraire de son auteur. Les Mascouillat peuvent déplaire, mais ils représentent des types très solidement créés par quelqu’un qui a l’amour du pittoresque dans la vie réelle.

La Caserne (éditions de La Plume)

Mercure de janvier 1899 pages 165-166

On a l’impression, en fermant ce volume, de tenir un boulet. C’est très lourd, très dense, très rugueux. On est écrasé de fatigue. J’ai mis trois jours à lire cela et pour moi, humble dévoreur de livres encore plus pour mon seul plaisir que pour faire les cinq pauvres lignes permises à mon compte rendu, c’est tout un travail. (Je crois bien que des gouttes de sueur me coulent du front !) Nous sommes dans l’artillerie et nous traînons la pièce, quoi ! C’est un effort continu pour mettre en relief la triste silhouette d’un nommé Lagrue qui est brimé, maltraité, conspué, em…brenné, avili, aveuli et fini par se f…iche à l’eau. Comment tant de persécutions peuvent-elles arriver à se concentrer sur le même homme ! Enfin, il paraît que c’est exact et tous les intellectuels (d’ailleurs exemptés de service pour cas rédhibitoire) déclarent que ça se passe ainsi dans toutes les casernes. Moi, je veux l’admettre (n’ayant que cinq lignes à ma disposition), seulement je remarque, histoire de témoigner d’un esprit morose, que ces casernes… modèles empirent singulièrement depuis l’affaire. Nous aurons bientôt un livre comme ça par intellectuel. Maintenant, cette caserne-ci, sans aucun jeu de mot, n’est pas décrite en français. Le jargon, très savoureux, des Mascouillat se comprenait à peu près, mais ici, nous entrons dans une véritable écurie où nous mangeons de la paille. Le réel talent que l’auteur met à dégager des têtes, sous de patients coups de maillet, d’une matière grise semblant toujours résister et qu’éclaire parfois l’heureuse trouvaille d’un mot sonore, jailli comme l’étincelle du caillou, n’excuse pas sa volonté mauvaise de torturer la langue. « S’enfurorer », pour s’encolérer, « s’attentiver » pour s’attentionner ne me paraissent ni plus jolis ni plus solides. De plus, des ellipses perpétuelles embrouillent au lieu de délier les phrases. On sent qu’on ne sortira pas de ce chaos et c’est à hurler : la classe, Monsieur ! et quand on songe au gigantesque labeur que ce doit être pour l’auteur d’arriver à ne plus s’exprimer correctement, on a l’envie d’écrire : Honneur au courage malheureux ! comme il est écrit dans toutes les latrines des casernes.