Camille Lemonnier

Camille Lemonnier en timbre-poste

L’Homme en Amour (Ollendorff)

Mercure d’août 1897 page 341

Il serait mieux de dire : en possession, car cet intérieur sensuel que nous fait cruellement visiter l’auteur n’est pas un intérieur d’homme normal. Le héros est plus hanté qu’amoureux et toutes ses voluptés ont un certain piment de sacrilège qui rappellent les envoûtés du moyen âge. Au début, les tourments des collégiens naïfs, devenant monstrueux à force de fausses pudeurs, sont un très documenté chapitre de l’histoire éternelle, mais, l’Homme en amour est un poème. Camille Lemonnier[1] ne peut pas, heureusement, rester un réaliste sincère.

  1. Camille Lemonnier (1844-1913), romancier belge de langue française, parfois surnommé « Le Zola Belge ».

La Vie secrète (Ollendorff)

Mercure de mars 1898, page 891

C’est une glace voilée, des feuilles éparses d’anciennes lettres jaunies, des photographies tout effacées par les larmes et les caresses mystérieuses ; c’est aussi un vieux livre ouvert toujours au même endroit, où sous des phrases banales il y a le mot d’une énigme amoureuse ou le secret d’un prisonnier déjà mort depuis longtemps ; c’est le petit bijou d’une paysanne, bijou vrai ou faux qui rappelle au fond d’une boîte la promesse non tenue d’un voyageur très lointain ; c’est ce qu’on ne dit jamais qu’à moitié et qu’on pleure souvent toute sa vie, sa vie secrète, enfin. Camille Lemonnier est à la fois un intuitif et un ciseleur de phrases. Il s’emporte et il s’arrête à temps. On a l’envie de lui reprocher sa fougue comme une habileté de plus… mais, être un fort et un habile c’est assez rare, de nos jours, en littérature… pour qu’on n’ose pas le lui reprocher sérieusement.

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La Petite femme de la mer (Mercure)

Mercure de janvier 1899 page 164

Une toute petite nouvelle contenant un aperçu cruel sur le monde surnaturel de l’ancienne nature. Remy de Gourmont, esprit très réfléchi, peu enclin aux blagues romantiques, savant patient qui a compulsé tout ce qui se peut compulser en fait de vieilles pages, croit aux sirènes en tant que personnages moitié chair de femme, moitié poisson de mer, et je ne vois pas bien ce qui interdirait cette croyance qui n’a rien à démêler avec les superstitions de nuits d’orage ! Le petit animal d’amour dont C. Lemonnier risque la description, peut fort bien nous représenter le triste produit d’une erreur… maritime. Le matelot, ivre de continence et de quelque sournoise liqueur des îles, serrant d’un peu près ces otaries aux doux yeux voilés de cils inquiétants, aux corps gras et souples, formant comme des plis de soie vers ce qui pourrait être une taille. Cette pauvre petite femme de bête aux nageoires qui avaient la grâce d’un geste d’amour, pousse des cris éperdus dès qu’on la touche et elle chante quand beaucoup de navires sont en perdition. Le matelot brutal qui la porte, pressée sur son cœur, a la peur féroce de la voir se sauver, et une soirée qu’il est gris, dans la rafale venue du large pour la chercher, la petite coureuse de la mer se sauve… Son idéal, et son gagne-pain envolé, le matelot exécute le dernier plongeon. À la suite de l’histoire de la petite sirène, d’autres petites animales d’amour viennent dire leurs peines ou faire de légers signes de joie. Livre délicat et tout de nuances précieuses… quand on songe aux virulences du Mâle de ce même auteur, on ne saurait trop louer son incomparable virtuosité, mais il y a mieux encore, il y a…

La fin de ce compte rendu enchaîne avec celui d’Adam et Êve , ci-dessous..

Adam et Ève (Ollendorff)

Mercure de janvier 1899 pages 164-165

Mon Dieu il y a qu’il a fait LEUR livre ! Quel livre ? Parbleu, celui des naturistes ! Je sais bien que, beaucoup plus modeste qu’eux, car il est le plus fort, il n’aime pas qu’on le lui dise ; pourtant, on ne peut guère ne pas s’en apercevoir. L’Éden renouvelé. Un couple revenant, après (au moins pour l’homme), des épreuves subies en un monde plus civilisé, au pur bonheur ancestral : la hutte dans la forêt vierge, les saisons leurs fruits et leurs différentes fleurs, l’étude des simples, la confection du premier poème ou celle du premier berceau. Et puis de l’amour… c’est le fonds qui manque le moins. Qu’il pleuve entre les branchages de la hutte ou qu’il fasse soleil derrière le hêtre, on s’aime d’une façon uniforme, à plein bras, à pleine croupe. Et l’on escamote les situations fâcheuses telles que le médecin accoucheur ou le défaut de vêtement, l’amour de la nature et même l’amour tout court suppléant à ces tristes nécessités, ferments de corruption. Je note une page où il y a six fois le mot : joie ! Adam et Ève parlent un langage destiné à ravir Maurice Le Blond et à donner la fièvre au créateur des demoiselles de félicité. Ève dit même, malgré son ingénuité, de ces mots spécieux, tout bas, dont les âmes demeurent étonnées, et Adam en arrive à un si joli état de grâce qu’il prononce d’imprudentes phrases dans le genre de celle-ci : Jamais plus je ne tuerai de bête en vie ! Maintenant, j’engage Messieurs les coqs naturistes à étudier ce livre, ils pourraient y apprendre à écrire, car Camille Lemonnier revient vraiment de plus loin que de leur forêt vierge ![1]

  1. Note de Rachilde : « Ces lignes étant écrites avant l’article de M. Paul Adam, je ne puis que me réjouir de cet heureux hasard. » Note de Rachilde-e.fr : « L’article de Paul Adam a dû sauter. Le dernier est paru dans le Mercure de mai 1897, le prochain paraîtra de quinze décembre 1906. »

Une femme (Flammarion)

Mercure de septembre 1899, pages 779-780

Susy est un camarade ; elle aime virilement, et veut ce qu’elle veut. Possédant un vieux mari très malade, elle désire un jeune amant très vigoureux et elle le choisit à peu près comme on choisirait un cheval ; jusque-là rien de bien neuf, mais il arrive une complication imprévue, c’est que Susy, un honnête homme, aime d’amour son mari, c’est-à-dire met son idéal dans la passion pure faite d’abnégation et de dévouement presque maternel. Quand le vieux mari réclame sa part de plaisir physique, elle le tue… comme on tuerait un étourneau, d’un petit coup de baguette sur la tempe. Pourquoi voulait-il détruire son idéal ?… Et elle quitte l’amant parce que celui-ci n’a pas su, sans doute, lui donner l’illusion de cet idéal qu’elle cherche dans la passion. L’éternel désaccord entre l’homme et la femme est que celui-ci ne comprend jamais ce qu’on lui demande même quand on le lui a dit. La femme porte en elle un amour fait de vieilles religions mourantes ou mortes. Elle aspire, même les plus viles, au dévouement et au renoncement, mais elle est obligée de se dédoubler puisque, rarement, le dieu se trouve en un seul. Et quand elle n’est pas mère, elle cherche à mériter le dieu selon tous les moyens, permis ou non. Or, en créant la Féministe, l’union libre et l’égalité des sexes on créera des… illuminées qui se cacheront de leurs compagnons de plaisir, bons garçons obtus, pour aller lécher les ulcères d’un vieillard qui les battra, leur prendra leur argent, mais dont elles ne craindront pas le possible. Si vous saviez, Messieurs, ce que le possible les rase ! Et ce qu’être un homme, votre égale, va leur sembler mesquin, un beau jour.

Au cœur frais de la forêt (Ollendorff)

Mercure de février 1900, page 458

C’est, en plus gosse, la même histoire que celle d’Adam et Ève du même auteur. Par conséquent, c’est la répétition d’une jolie chose.

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Le Bon amour (Ollendorff)

Mercure de février 1900, page 458

Un mari et une femme divorcés se retrouvent longtemps après, lui médecin, elle infirmière au chevet des malades, et ils sont repris d’une tendresse profonde l’un pour l’autre. Leur nouvel amour fait d’apaisement et de souvenirs, va jusqu’à l’union éternelle. Ils achèvent de vieillir ensemble et cette lampe-veilleuse allumée au feu de leurs anciennes passions brûle du plus pur éclat.

Ce compte rendu suit immédiatement, dans le Mercure de février 1900, celui de Au cœur frais de la forêt.

C’était l’été… (Ollendorff)

Mercure de septembre 1900, pages 760-761

L’auteur de ce livre excelle dans l’art de rendre la vie rustique non pas telle qu’elle est, peut-être, mais telle que les passionnés la voudraient voir. Sans abandonner la beauté réaliste de l’œuvre qu’il fait, Camille Lemonnier y mêle toujours un sens profond de la poésie et du symbole de toute poésie. Il s’exalte dans la lumière et sous les cieux purs qui lui versent l’or des belles métaphores et la clarté de certaine philosophie bestiale qui n’est point sans une grande sagesse. L’amour du sang, de la chair et du baiser s’y transforme en une universelle tendresse pour les choses et les mystères des choses. Ses études de femmes, petites Èves portant avec elles des désirs d’éternelle jeunesse, sont des femmes nues sous le regard du dompteur, mais d’une nudité sans embarras et elles donnent plus d’intensité au cerveau qui pense que de mauvaises folies au corps qui aime. Camille Lemonnier évoque une nature ardente et franche qui serait gouvernée par l’esprit de régénération au lieu d’être le théâtre du tourment des névrosés, et c’est en cela que son œuvre de poète est une des meilleures œuvres morales qui soient, malgré la hardiesse de ses expressions et la fougueuse chaleur de ses tableaux.