Louis Dumur
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Pauline ou la liberté de l’amour (Mercure)
Mercure de novembre 1896 page 371
Il n’y a pas eu de rubrique « Roman » dans le Mercure d’octobre.
Ce mois de novembre, la rubrique ne porte que sur trois romans, qui ne remplissent que quatre pages et demie du Mercure : Celui de Louis Dumur, celui d’Émile Bruni : Les Mémoires d’un Mari et celui de M. Reepmaker : N’importe !.
Il est toujours désagréable d’écrire le contraire de ce que l’on a dit, mais quand, par hasard, c’est un homme de talent qui vous y force, on peut se consoler en se persuadant que, seul, son art est coupable, et qu’il suffira du premier imbécile venu pour remettre l’ordre dans vos convictions les plus chères. Certes, après la lecture de Pauline, de Louis Dumur, la liberté de l’amour ne me semble pas du tout démontrée : cependant, je finis par conclure qu’il y a l’adultère sympathique, et je veux bien admettre cet adultère-là, au moins en littérature.
M. Robert de Souza[1], dont les critiques de sévère philosophe sont très goûtées ici, où l’on ne se pique point d’indulgence, m’ayant priée de feuilleter Pauline à seule fin de m’apercevoir que je me trompais en disant que la femme était toujours libre, j’ai lu Pauline avec la religion de celui qui découvre, enfin, le vrai rituel, et je n’ai fichtre pas été déçue. Je ne sais pas si je me trompe, mais mon plaisir tient principalement dans l’idée que je me fais de l’esclavage épouvantable de la malheureuse Pauline. « À l’heure actuelle, dit M. de Souza, et en particulier en France, une femme ne peut disposer d’elle-même, par conséquent de son amour, de ce qu’elle possède, travail, fortune et enfants, que selon l’homme qu’elle rencontrera. » Et il ajoute : « Consultez Pauline ou la Liberté de l’Amour. »
Louis Dumur a raison et M. Robert de Souza aussi, parce qu’ils ont du talent tous les deux ; mais celle qui a tort, c’est Mme Facial, devant le héros du livre. Non, il est trop médiocre, et je me refuse absolument à croire que dans la vie véritable on pourrait, femme intelligente, demeurer trente-cinq minutes en la possession légale de ce monsieur-là. Il n’est pas bête, c’est bien pire : il explique la bêtise et la raisonne comme un commis voyageur placerait l’article pour lequel il parcourt le monde. Vivant dans une société sur laquelle s’appesantit le lourd ennui de la frivolité, il ne réagit ni par la sottise naïve qui est quelquefois drôle, ni par la bonté qui est quelquefois utile, ni par… le vice qui devient souvent l’intelligence. Il est donc nul de tous les points, et il est correct par-dessus le marché. Au bout de deux mois d’existence conjugale, on peut donc le mettre à la porte, ou le rendre assez fat pour qu’il ne soit jamais encombrant. Or, Pauline, si libre dans sa théorie du droit à l’amour, se fait précisément son esclave en ne lui révélant pas son premier adultère, car toujours quelque mensonge précède le grand crime chez les jeunes femmes inexpérimentées. Pauline a un enfant d’un monsieur très effacé, et pour l’enfant, bien plus que pour la situation, elle dissimule. Voilà sa seule méprise. Il fallait partir carrément pour le pays de la prostitution avec le gamin, et on redevenait libre ; et le jour où l’on rencontrait l’élu, on lui disait que la prostitution légale est encore moins propre que l’autre. Je suis certaine qu’Odon, le second amant de Pauline, aurait, sur ce sujet, mis tous les pouces qu’on aurait voulu. Tant que les femmes auront l’idée qu’être entretenue de considération par un, ce n’est pas la même chose qu’être entretenue d’argent par plusieurs, elles ne seront pas libres, c’est évident. Pour les jeunes femmes qui n’ont pas la possibilité d’exister par elles-mêmes, il est clair, je le confesse, qu’en France, on ne leur laisse que la perspective de la prostitution : alors, que ne peuvent-elles choisir entre les deux genres ? Mais il n’y a pas de cérébralité féminine qui soit libre, parce qu’elles ne veulent admettre la liberté que pour l’amour ou pour le dévergondage, et elles ne pensent jamais à l’admettre pour tout autre acte individuel. D’ailleurs, les hommes non plus ne sont pas libres, et c’est encore ce qui doit consoler le mieux le faible sexe.
Il demeure, du livre de Louis Dumur, que la femme la plus intelligente ne parle pas toujours à propos, et que l’avocat, quand il est habile, peut toujours gagner sa cause, dans l’un ou l’autre sens, du moment qu’il lui reste supérieur comme raisonnement froid. (Ah ! les femmes froides, voilà vraiment une denrée qui nous manque !) Les comparses de ce drame sont méticuleusement créés : le collégien trop savant qui fait ses entrées dans le monde et dans les jupes, le mondain léger, toujours plein de petites actrices, les mondaines creuses comme des grelots d’argent, les vieilles dames pourries de haines et d’amours jaunes pour ceux qui les fuient, les médisants, les calomniateurs, les tapisseries regardant valser avec le regret de ne pas pouvoir empêcher de danser en rond : toutes ces marionnettes sont à leur poste de parade dans un alignement guerrier qui donne confiance pour la chaleur de la bataille. Odon de Rocrange, tirant, le long de la vie, ce boulet du forçat conjugal qu’on appelle une femme dévote, est un homme très sympathique, et s’il raisonne un peu pour un héros de premier plan, il n’en aime pas moins fougueusement, le moment venu. La scène d’amour très… adultère entre Pauline et Odon est trop bellement littéraire pour être vécue, mais Louis Dumur est un philosophe, et il n’admet pas le fait sans l’explication des causes ! Vers la fin du livre, je n’aime point énormément une certaine apparition astrale d’Odon mort, car le pauvre cher amant meurt, abandonnant l’amante au souci de se croire bien coupable, puisqu’elle est punie ; cependant, j’avoue trouver cette scène curieuse, révélant chez l’auteur des préoccupations d’au-delà au moins bizarres de la part de celui qui écrivit Albert[2]. Et puis, une simple question d’huissier : pourquoi, lorsque Pauline revendique le droit à une faute longuement préméditée vis-à-vis de son mari, ne sait-elle pas d’avance que le divorce prononcé contre la femme lui interdit absolument le droit à l’enfant ?… Il me semble qu’Odon pouvait l’avertir, sinon son flair de femme intelligente ayant, de temps en temps, trop chaud à la tête.
Tout ce livre est écrit avec soin, sans tableau, dans la manière des auteurs qui font prédominer l’idée, comme Jean-Jacques. Les conversations entre gens du monde sont beaucoup trop bien parlées et les femmes ne font aucune faute de français (elles en commettent tant d’un autre genre !), ce qui me paraît excessif. Autant que possible, j’évite de causer avec des mondaines ; mais quand cela m’arrive, j’enregistre toujours une demi-douzaine de locutions vicieuses qui représentent, à mon humble avis, le véritable piment de leur raison sociale. Il m’aurait semblé préférable d’être moins bon grammairien à leur sujet. Enfin, Pauline n’est pas du tout la liberté de l’amour, et c’est encore moins celle du langage, ce dont je félicite l’auteur.
Ajoutons, pour donner des nerfs à tous les faux stylistes, que cela n’empêche point le volume d’être le succès de la saison.
Robert de Souza (1884-1946), poète, tient ces temps-ci au Mercure la rubrique des « Journaux et revues ». On rencontre sa signature dans 92 numéros du Mercure entre 1895 et 1939.
Louis Dumur, Albert, Bibliothèque artistique et littéraire, été 1890, 222 pages
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