Émile Bruni
Les Mémoires d’un Mari (Victor Havard)
Mercure de novembre 1896 page 373
Et voici Les Mémoires d’un Mari (pour ma pauvre petite satisfaction personnelle, on voudra bien constater que je n’ai pas de chance : je n’aime pas l’adultère on en met partout !) d’Émile Bruni, qui sont les plus navrants mémoires du monde, car… ils m’ont encore une fois attendrie sur les malheurs d’un monsieur pas beaucoup spirituel. Il écrit lui-même qu’il est naïf ; je ne le démentirai pas ; cependant, je l’aime mieux que Facial[1]. Il est si doux, si bon, et il écrit tellement comme quelqu’un qui ne veut rien savoir !… je le trouve tout à fait charmant. Et puis, il aime sa femme, il l’aime jusqu’à laisser les comptes de caisse pour régler un arriéré d’alcôve, et il mérite vraiment des félicitations.
Seulement, c’est lui qui relate ; je me méfie de ces éclairs de chaleur pour mémoires. Où il ne fait plus sourire, c’est dans la scène capitale, lorsque le pauvre mari découvre le monsieur et sa femme très occupés. La seule pensée qui lui vienne, après avoir ouvert lui-même la porte sur son déshonneur, c’est de la refermer sans faire de bruit. Or, il aime profondément sa femme, et il a vingt-huit ans, je crois, et il avoue, le long du livre, son tempérament robuste. Il est de toute évidence qu’à force de lire des histoires pareilles, je vais finir par perdre le peu de notion que j’ai sur la psychologie, mais ceci me dépasse ! Littérairement parlant, j’admire ces pages où sont décrites, avec une douleur très intense dans sa naïveté, les sensations de ce mari très brave qui a peur de faire du bruit ; pourtant, je ne comprends pas ! Qu’un vieillard, un trop jeune, un imbécile pur, ou un lâche ordinaire, cherche comment on refermera la porte après l’avoir ouverte, je l’accepte, mais il s’agit d’un homme qui a la prétention d’être un homme et qui est d’une cérébralité normale, d’un physique sain.
Alors ? Le mouvement d’inconscience devait fatalement le faire crier ou bondir, quitte à s’en repentir cinq secondes après.
D’ailleurs, c’eût été dommage, puisque nous aurions été privés des plus remarquables pages du roman.
C’est égal, je conseille au prochain… numéro ce clou : le mari ne se souciant plus de refermer la porte, et disant au monsieur : « Ne trouvez-vous pas, mon cher, que Fernande a la hanche droite légèrement déviée ? » On m’objectera les convenances ! Eh bien, qu’il vienne un peu avant l’acte irréparable pour huiler les ferrures, ce sera d’un joli ton sobre. Sérieusement, les Mémoires de ce Mari sont à lire : ils ont une très spéciale saveur.
Facial est le nom d’un personnage du roman de Louis Dumur, Pauline ou la liberté de l’amour, chroniqué en ouverture de ce même numéro du Mercure de novembre 1896.