Albert Delacour
Le Roy (Mercure)
Mercure de novembre 1898 pages 451-452
Il n’est pas impossible qu’il s’agisse d’Albert Delacour (1877-1916, peut-être mort à la guerre), docteur en droit et spécialiste de l’anarchie.
L’affaire Dreyfus, évidement, et qui se termine minablement pour l’armée en cette fin de 1898. C’est la deuxième fois que Rachilde y fait allusion dans cette chronique, après La Femme qui a connu l’empereur, d’Hugues Rebell.
Un fougueux tempérament de romantique, l’auteur ! Il y a, dans son œuvre, des bohémiennes, des combats homériques, des exclamations immensément déclamatoires et surtout beaucoup de talent. Le talent, c’est peut-être mieux que de savoir écrire selon la mode et le goût du jour, c’est d’écrire comme l’on pense et de penser crânement quelque chose. Le Roy est un sauvage sorti des premières forêts du monde, bien avant le déluge ; c’est un homme allant volontiers tout nu. Le style d’Albert Delacour lui ressemble ; il court parmi les arbres et les gens avec une barbe mal faite et des ongles de tigre. Ce Roy est un volontaire. Il se heurte, malheureusement, aux préjugés, à la faiblesse et aux personnes bien équilibrées. Je pense qu’il a eu tort de tuer le prince d’Armorique : à eux deux ils faisaient un couple capable de régénérer (sinon repeupler !) leur triste royaume. Si, en ce moment, on pouvait lire autre chose, en France, que les insanités ayant trait, directement ou indirectement à l’AFFAIRE[1], on devrait s’occuper du premier roman d’Albert Delacour. Personne, depuis longtemps, ne dit rien en littérature, or, un Monsieur jeune, capable de travail et connaissant un peu plus que le grec, c’est-à-dire l’art du mot français brutalement mais justement placé, survenant parmi les eunuques de lettres que nous savons, tant juifs que chrétiens, ce serait cependant à prendre en considération. Nous sommes tous très las de savoir qu’il y a des enfants martyrs et des innocents au bagne, nous aimerions, vraiment, à lire, dans les journaux, revues ou volumes de notre pays l’histoire des maîtres à venir, du Roy ou du voleur à poigne qui mettra, enfin, la justice et les lois dans sa poche pour se promener en peau… soit à la rencontre de l’Inconnu, soit à la rencontre de la mort.
« … Ne vous avais-je pas dit : veuillez, et tous les fantômes vont s’évanouir ? Pour ceux qui veulent, les balles sont d’inoffensifs cailloux ! En avant ! Beauté, force, liberté ! »
Mais point d’égalité, parce que… il est préférable, pour l’auteur au moins, d’avoir beaucoup plus de talent que les autres. Pourvu, mon Dieu, qu’il ne se mette pas à écrire parfaitement, histoire de ressembler aux eunuques en question ! À propos : je préviens toutes les femmes, sans distinctions de sexes, que le Roy n’est pas une œuvre écrite spécialement pour elles… Alors…