Armand Charpentier
L’Initiateur (Ollendorff)
Mercure de septembre 1897 page 521
Cette critique est la première de ce numéro, après une exceptionnelle introduction de Rachilde.
L’Initiateur, d’Armand Charpentier, est donc l’histoire d’un triptyque amoureux : Jeanne, Louise, Germaine. Elles ont appris l’amour d’un même initiateur et elles finissent par aller à lui du même pas léger et rythmique, se tenant par la main pour le mieux enchaîner. Monsieur Armand Charpentier a du talent. Il a écrit Une Honnête Femme et Une Courtisane, deux bons volumes : un moins bon, mais très curieux, le Roman d’un singe. Il n’y a pas à le chicaner sur sa forme, un peu bâtarde du naturalisme dans ses premiers ouvrages, plus épurée, plus soucieuse de phrases neuves dans les derniers. On ne peut guère que discuter sa nouvelle conception de l’Amour moderne. (Il paraît qu’il y a l’Amour moderne comme il y a le mouvement féministe !) Son héros, Stéphane, est un charmeur un peu banal. Il n’est ni vicieux, ni fougueux, il aime au sirop ! C’est un fabricant de demi-vierges et il est bon de faire pleuvoir, en passant, cette vérité première : qu’il n’y aurait point de demi-vierges sans ce genre d’éducateur à développement restreint. Ce n’est plus don Juan ni Chérubin, c’est le ténor, et il manque de prestige, car à dompter un tigre sans dents on n’a pas, du côté féminin, un grand mérite. Si Armand Charpentier n’éprouvait aucune sympathie pour son héros, on serait relativement tranquille, mais il a tout l’air de l’estimer et il va jusqu’à décrire un peu trop dans les détails certaines petites cuisines d’amour qui seraient de la pornographie sous une autre plume que la sienne. Il faut remercier, au point de vue moral, un homme qui ne viole pas et qui a le courage de demeurer le maître d’une situation nerveuse provoquée par lui, mais à la troisième représentation de ce genre, il se classe ou mieux se déclasse pour toujours, et ce n’est plus que le jouet mécanique. Stéphane, rencontrant une véritable femme d’amour, c’est-à-dire éprise d’absolu, serait broyé certainement entre le cœur de cette femme et sa personnelle mécanique. Les trois héroïnes de ce livre sont de gracieuses poupées, sages ou très émues ; elles conservent des gestes de souples religieuses du même couvent, mais elles peuvent mourir en paix : elles n’auront point connu Dieu.