Marcelle Vermont
Pédaleuse (Société libre d’édition des Gens de lettres)
Mercure de février 1897 pages 389-390
Cette critique suit celle d’À Eux deux, par André Ruijters.
Ah ! maintenant, reprenons pied sur la terre des pires folichonneries avec un roman de femme : Pédaleuse, par Marcelle Vermont. Jolie, très jolie bicycliste sur la couverture (portrait de l’auteur). Il s’agit de la nature et de la société vue à travers le tempérament d’un guidon. J’attendais le roman sur le cyclisme pour m’orienter un peu au sujet de ce que peut fournir d’états d’âmes spéciaux ce petit instrument ridicule. Il est certain que Mme Marcelle Vermont a beaucoup d’esprit, mais il est détourné de sa voie, sans doute, par le vertige des emballements. Ça commence très bien, ça finit mal. Il y a une rupture d’équilibre. L’héroïne est une jeune personne qui a des manches bleues et bouffantes. Le sain exercice de la bicyclette lui procure d’abord l’envie de les montrer partout… sans son mari, puis cela lui inspire quelque tendresse pour un enfant issu clandestinement d’une de ses amies et aussi du drame célèbre des Deux Gosses[1]. Le mari croit des choses, et, pour le punir, la femme se laisse envahir par un reporter très… résultat des courses. Le grand air, vous savez, et l’herbe tendre, ou les tapis de feuilles mortes… Une fois envahie, elle fait : brrr !… et remonte en selle ! Quel train !… Vers la fin du roman, il y a une nuit blanche passée en compagnie d’un neveu imberbe qui est fort troublante. Les pantalons de la bicycliste prennent tellement le dessus que le neveu dit : « Oh ! ma tante ! » et c’est tout. Puis, une apothéose dans le palais du sport sur le virage qu’on coupe… pour l’éternité. Le style est alerte, pimpant, plein de mots, garçonnier, un bon style de Française mouvement féministe. Je ne résiste pas au plaisir de citer (il s’agit d’un bébé, celui des Deux Gosses) : « Elle l’admirait, le mangeait des yeux, regardant ses petites histoires, qui faisaient de lui un monsieur, et ce n’était pas dû postiche ; elle en avait fait l’expérience à la façon dont un jour il lui avait envoyé un jet d’eau en pleine figure, si bien qu’elle en avait ri. Oh ! ri. « Vous commencez bien, monsieur bébé. » Dame, oui, il débutait avec un peu trop de sans gêne même.
« Ce ne sera pas une fille, hein, nourrice ?
« Et la paysanne riait de son gros rire, répondant que pour sûr il laisserait sa trace dans le monde.
« Mme Derboys tendait, à l’allusion, les lèvres roses de sa bouche un peu grande et harmonieuse, songeant à M. Charles Maurel, cet officier de marine, frais sorti de l’école, un bambino, quoi, et qui déjà avait marqué fièrement la sienne. Si l’enfant ressemblait au père, cela promettait pour la patrie ; enfoncé l’Allemand ! »
Oui, je comprends bien, mais j’allais dire une bêtise, et, après tout, ce ne sont pas mes affaires.
Les deux gosses est un roman de Pierre Decourcelle (1856-1926) d’abord paru en feuilleton sous le titre Fanfan et Claudinet avant de paraître en deux volumes chez Jules Rouff en 1880 sous son titre définitif (2775 pages largement illustrées). Le succès de ce roman a entraîné Pierre Decourcelle à l’adapter à la scène en 1896 pour l’Ambigu. Ce roman foisonnant a ensuite été porté à l’écran à plusieurs reprises.