Mathilde Serao
Au pays de Cocagne (Plon)
Mercure de septembre 1898, page 812
L’auteur de ce roman est très connu en Italie et en France. C’est un des meilleurs écrivains classiques du dit pays de Cocagne où il n’en est pas beaucoup de vraiment classiques. L’œuvre, conçue d’après les mœurs napolitaines, nous offre un tableau fort soigné d’un état gangrené, du peuple aux grands, par le jeu des loteries. Je me demande si le gouvernement italien fut satisfait de feuilleter ce volume ! Le type de Cavalcanti et celui de sa fille Bianca sont de belles trouvailles qui ont le reflet de bronze des statues, trop hautes, sculptées par Victor Hugo, mais c’est d’une lecture très attachante. Ce roman a une belle allure, sans cependant, être privé d’une sensibilité fort intelligente, et une réelle compréhension de la passion sous toutes ses formes.
Sentinelles, prenez garde à vous ! (Calmann-Lévy)
Mercure d’août 1899, page 496
Un pauvre forçat est amené en l’île de Nisida et, dans ce bouquet de verdure qui charme les yeux des étrangers venus à Naples pour s’aimer, se baigner, prendre l’air pur de la liberté devant des flots bleus, la vie monotone des galériens s’écoule au seul bruit des cliquetis des anneaux de fer. Le directeur du bagne, bon militaire taciturne, a une femme et un enfant, deux créatures délicates qui s’étiolent en présence du funèbre mur de la prison. Le pauvre forçat pousse un jour la voiture du petit enfant, malgré la répugnance de la jeune femme. Ici, le romancier, très habile, a évité l’inévitable passion romanesque entre la femme du directeur et ce forçat, très jeune, très beau ; tout de tendresse calme et de tristesses contenues, de peur vague aussi de l’amour désespéré qui semble planer sur eux, les jeunes êtres s’oublient pour ne se voir qu’en l’enfant, et l’enfant meurt, probablement de cet étouffement volontaire d’une passion… très naturelle après tout. Cette œuvre est fort belle, fort simple et révèle une grande puissance de conception chez la femme qui l’écrivit, car elle arrive à exprimer tout ce qui n’est pas dit et garde, par conséquent, toute sa saveur de mystère, malgré l’aisance naturelle du style.