Robert Scheffer

Le Prince Narcisse (Lemerre)

Mercure d’avril 1897 pages 146-147

Subtil émailleur, et plus subtil pervers, Robert Scheffer nous cloisonne un portrait de voluptueux avec les soins habiles d’un qui sait avec quelles précautions il faut manier ces matières dans un pays où l’on n’admet, généralement, qu’une forme de l’amour. Moréano, le doux prince, très infatué de sa personne, est une vision lointaine, parmi des astres, il se mire, bien réellement, aux lagunes de la Ville des miroirs mouvants, il y voit, peut-être, une autre tête que la sienne, il est un double. Antinoüs, s’étant jeté à l’eau[1], cherche Antinoüs dans le visage trouble de la mer qui le regarde pour se rire de sa bonne foi. Et, quand le visage vient à changer, perfidie nouvelle du flot, quand il se retrouve en un visage de femme, il se tue… ou croit se tuer en étranglant la femme qui ne lui rendra jamais sa première ferveur. L’auteur du Chemin Nuptial est un charmant écrivain, sa main féline, touchant avec de longues et savantes caresses, les objets et les êtres. Nul mieux que lui ne sait mettre le luxe d’un palais ou d’une chambre sous le jour mystérieusement flatteur qui convient. Il est épris de surnaturel, traite la volupté comme le don, par excellence, de la magie. Il vit, chez lui, avec des chapelets d’ambre, des marbres anciens dont les seins palpitent à de certaines évocations, des angoras aux fourrures lunaires et des tapis d’orient encore tout imprégnés des odeurs du harem ou du sang des sultanes mortes, mais (avis aux sous-peladans[2] de notre époque), il est le premier à rire de ces jolis soucis du frisson rare, et avant d’être mage… il est, très sceptiquement, un homme d’esprit… J’aime beaucoup son Narcisse, seulement je le remercie de m’avoir dédié l’Autre.

  1. « Jeté à l’eau » est audacieux. Nous savons qu’Antinoüs (-110 -90 environ), « favori » d’Hadrien est mort noyé dans le Nil sans connaître les circonstances de cette noyade.

  2. Joséphin Péladan (1858-1918), écrivain, critique d’art et occultiste particulièrement farfelu.

Grève d’amour (Édition de la Revue blanche)

Mercure de décembre 1898 pages 752-753

Dans un cadre lumineux, en pays basque, l’auteur qui nous a depuis longtemps habitués aux complications des voluptés les plus savantes, place une idylle un peu rouge, rouge du soleil couchant qui incendie les races de l’heure présente. Un besoin de sensations nouvelles et folles pousse Maria Maïder, la jeune fille presque vierge (je dis : presque à cause de l’océan qui la viole le long de ses escapades de nageuse) ; elle va toujours plus loin, si loin, que Philippe Garnet, le beau créole, a raison de ses dernières pudeurs rien qu’en lui parlant de la chaleur du soleil. La jeune fille n’aura fait que boire à la coupe où l’on retrouve tout le sang de la vie, elle s’est roulée dans la volupté comme une perle dans la nacre de sa coquille puis… elle épouse un prince et cela se termine comme un conte de fée. Le prince Comagène n’aime pas énormément les femmes, il laissera la sienne vivre de souvenirs si elle ne peut plus vivre d’espérance, mais on ne se donne pas impunément à la chaleur d’Hélios et, un jour, loin de la plage où elle est allée chercher les baisers de l’océan pour lui être un suprême calmant, elle rencontre le beau créole qui la noie. Aussi bien elle aurait pu se consoler. Une femme qui se console, c’est si banal ! Le style de Robert Scheffer, légèrement teinté d’exotisme, est chatoyant, capiteux comme ces fameuses liqueurs retour des îles qu’on ne boit qu’en baissant les paupières. Il diapre ses phrases de mots fins, légers et enjôleurs. Les types de vieilles dames de plage, tapisseries de casino, sont amusants, et nouveaux, toujours assez vrais pour donner à penser qu’on les rencontrera. Maintenant il y a des méchancetés plein son livre. Je lui reprocherai peut-être de nommer des gens, mais quoi, c’est plus brave que de les inventer moins nature en les soulignant de gros mensonges qui les font reconnaître tout de suite.

L’Île aux baisers (Borel)

Mercure de juin 1900, page 760

Un délicieux conte voluptueux et mélancolique par instant où l’on voit Mme Larme sous toutes ses facettes, provocante, rêveuse, méchante, perverse et bonne. Le type du peintre vicieux et brave homme est charmant. On est dans le crime et la douceur de l’eau. Cela est à la fois parfumé de fleurs et de chair. Au fond, une philosophie très… parisienne baigne tout ce joli monde fantaisiste. Mme Larme n’a pas de pudeur, elle est humaine seulement, c’est, hélas ! cette humanité-là que les hommes dégoûtés ou trahis qualifient fort injustement de vice… ou d’hystérie selon le degré de leur colère. Ils sont si bêtes, les hommes ! Un petit chef-d’œuvre cette Île aux baisers. Cela finit mal, par des histoires d’argent et Mme Larme, en vraie… modèle de peintre qu’elle est, dégage an peu trop la statue de l’homme… à moins que ce ne soit le contraire.