Maurice Léon

Le Livre du petit Gendelettre (Ollendorff)

Mercure de février 1900, pages 453-454

Dans le compte rendu ci-dessous, Rachilde nous laisse penser que Maurice Léon est un pseudonyme de Paul Adam. En ouverture de sa chronique de mars elle écrira : « Avant de commencer ce courrier, je dois une rectification à mes lecteurs : M. Paul Adam me prie d’affirmer en son nom que Maurice Léon, auteur du Livre du petit Gendelettre, a bien réellement existé et qu’il convient de lui restituer sa gloire, ce que je fais volontiers. »

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  1. Paul Adam (1862-1920) a été fait chevalier de la Légion d’honneur par décret du douze janvier 1900.

Dans une préface, fort subtile, Paul Adam nous présente l’œuvre posthume de ce jeune homme, à peine âgé de vingt ans, qui mourut en l’honneur de l’Idée pure comme autrefois Werther en l’honneur de Charlotte. Il est très délicat de parler de ce livre. Si Paul Adam a voulu le dresser sur une tombe en monument expiatoire de toute une race, il me semble cruel d’y ajouter la moindre pierre, et si on n’en dit pas sincèrement tout ce qu’on en pense, on lui fait une injure grave, car il semble un véritable défi jeté à la sincérité du lecteur. Je vais d’abord essayer de résumer son contenu. Un ambitieux, doué de toutes les facultés artistiques, constate ses nombreuses ambitions et désire se réaliser en art comme Napoléon Ier put se réaliser en conquêtes. « Mathématicien, anatomiste, sociologue, créateur des États-Unis d’Europe, fondateur de l’Amoralisme ; voilà les missions que ce jeune homme s’impose au seuil de l’âge actif. Vision de triomphe qu’espère sa triple personnalité de petit enfant sage, de français clair et méthodique, de sémite amant de l’effort, chercheur confiant et obstiné. » Et ce jeune gendelettre de vingt ans, en s’apercevant qu’il n’a pas de… génie, se suicide. On le trouve mort un matin avec un revolver à côté de lui. Hum !… Pour faire avaler en douceur les terribles analyses psychologiques de ce Maurice Léon, Paul Adam n’aurait-il pas eu, purement et simplement, le génie… de l’inventer ? Je ne connais qu’un esprit doué de toutes les facultés énoncées plus haut, c’est celui du jeune maître que l’on vient de décorer[1]… (le gouvernement éprouvant quelquefois le besoin de se réhabiliter aux yeux des vrais artistes !) Seul, un Paul Adam, jeune Balzac des temps nouveaux, sait parcourir, au gré de notations d’aspects confus, tout un cycle, avec cette sûreté de détail et cette puissante vision d’ensemble. Mais, comme il n’a pas du tout l’âme d’un sémite, il timbre les choses les plus futiles de son cachet personnel et il compose un roman, c’est-à-dire un livre écrit cependant pour tous, avec un dur traité de philosophie d’une lecture très âpre. Maintenant ce que j’avance ici est une opinion toute personnelle. Je me trompe probablement. Maurice Léon a existé, il a écrit à vingt ans un livre extraordinaire, et, furieux de constater : qu’il comprenait tout et ne sentait rien, il s’est logé une balle dans la tête. C’est possible. Je n’arrive pas à le croire. J’ai lu attentivement cet ouvrage, j’ai très bien reconnu l’âme que l’on voulait ouvrir toute grande… mais il m’a semblé que ce jeune homme, le long de ses notes, élaborait en même temps sa préface et savait où il allait aboutir. Croyant ce que j’avance, j’ajouterai que Paul Adam a eu tort de tuer ce héros. Il eût été amusant de lui faire écrire successivement tous les livres que les nouvelles écoles ont encore à publier. En tous les cas, le Livre du petit Gendelettre, qu’il soit d’un petit ou d’un grand Gendelettre, est destiné aux jeunes hommes chercheurs de vérités et de tares. Dans sa sécheresse un peu hautaine (on dirait le faux-col de son préfacier !) sa conception merveilleuse, tous ses coins d’âme obscurs brusquement éclaircis, sa manière jeune d’envier, de dénigrer et de rêver fortement mieux, son style coupant, une certaine vision militaire des questions et surtout la théorie de tous les courages expliqués par la foncière lâcheté de l’homme, il représente une œuvre extraordinaire. Honneur au sémite qui aurait eu la poigne de l’écrire, mais, je renonce à m’imaginer un sémite se suicidant parce qu’il se sent conscient… du génie qu’il ne peut avoir. Ils savent trop que le talent suffit et même supplée !