Charles Le Goffic

La PayseMorgane▼▼

La Payse (Armand Colin)

Mercure de février 1898, page 543

L’auteur du Crucifié de Keraliès ouvrage couronné par l’Académie française est un homme sérieux, cela se sent tout de suite en lisant son livre. Il est, de plus, modeste, et possédé des croyances qui viennent de Bretagne c’est-à-dire indéracinables. Cela-suffit, je pense, pour faire une œuvre un peu lourde, peut-être (l’auteur l’avoue lui-même dans sa préface), un peu galette de blé noir, mais saine et savoureuse. Mène, dépouillant sa virginale parure de vierge bretonne pour devenir une « Française » gauchement coquette et finalement mourant de ses remords pour retrouver, sous l’eau en quelque sorte, son vrai pays, un breton comme elle croyant et entêté, nous fait de la peine, nous intéresse, et nous pèse aussi sur le cœur.

Morgane (Armand Colin)

Mercure d’octobre 1898 pages 201-202

Ce roman a parfois été réédité sous le titre Morgane la sirène suite au film (muet) de Léonce Perret de 1927.

Histoire très, ultra-romanesque pour les jeunes filles. Cela ressemble à du Paul Féval pour les imaginations politiques. Une petite mondaine bretonne et son cousin breton… qui descend du roi Arthur. Tous les deux tombent des joies parisiennes dans la mélancolie de la Bretagne aux équinoxes. Le journal d’Annette est une de ces nomenclatures de bonnes actions selon la morale des gens bien élevés qui fait plaisir à feuilleter, tant on sent cela éloigné de la vie ordinaire. Annette soigne tous les miséreux du pays, ornée de la mante à capuchon modeste que l’on sait, puis elle n’épouse pas son cousin sans qu’on sache pourquoi et cela se corse de l’entrée en scène de Morgane, une S.A.R. comtesse de Bangor, princesse de Galles, possédant 500 millions de fortune à vingt-quatre ans et désireuse (il faut bien faire quelque chose) de reconstituer le royaume de Galles et d’en partager le trône avec le dernier descendant du roi Arthur, héritier légitime. Là-dessus péripéties politiques et longues généalogies. Il y a un palais de jaspe et de porphyre très peu moderne dans une île déserte et la maîtresse de ce palais prend ses bains de mer au moment des plus violentes tempêtes, mais tout finit proprement par l’immersion éternelle de Morgane l’empoisonneuse et le mariage du chevalier Arthur qui descend du trône chimérique pour n’épouser que sa cousine. Ce roman, qui a l’air complètement fou tant il est soigneusement écrit en français moderne, pour ne conter qu’un conte de fée absurde et prétentieux, est curieux en ce sens qu’il résume d’une façon très juste les rêves des dites jeunes filles, et c’est presque une terrible malice de l’auteur de leur avoir osé servir le formidable pot-pourri de leurs pensées les plus secrètes. En cela seul ce serait vraiment un chef-d’œuvre que Morgane.