Marie Krysinska
Joies errantes (Lemerre)
Mercure d’août 1894 page 386
Depuis longtemps l’auteur nous affirme qu’il a inventé le vers libre, et pour nouvelle preuve il nous offre une nouvelle série de poèmes très en dehors des règles connues. Pourquoi lui disputer cette gloire ? Le vers libre est un charmant non-sens un bégayement délicieux et baroque convenant merveilleusement aux femmes poètes dont la paresse instinctive est souvent synonyme de génie. Ce que Jean Moréas (de l’école romane) aura cru trouver en peinant terriblement sur les vieux bouquins de Ronsard et quelques dictionnaires ignorés, Marie Krysinska ne peut-elle l’avoir découvert aussi jouant avec les frous-frous de sa jupe, les perles d’un collier, le souvenir d’un rêve ? Je ne vois nul inconvénient à ce qu’une femme pousse la versification jusqu’à sa dernière licence ! Les Joies errantes sont jolies, capricantes comme des chèvres, montent et descendent dans d’inextricables sentiers rocailleux, broutent du même air indépendant le lotus ou la menthe sauvage. Je les aime, arrêtées mélancoliques au bord des flots, dans des Marines tristes, puis rebondissant dans des Marines gaies, mais sans explication, surtout, sans préface trop savante, car moins une femme s’explique et plus elle est vraiment forte.
Folle de son corps (Victor Havard)
Mercure d’avril 1896 page 136
En fait d’indépendance littéraire, nous avons, outre la Jupe ci-dessus, Folle de son corps, de Mme Krysinska, roman poème, élégant, pervers, écrit avec de la musique de virtuose et du babil d’enfant mal élevé. Seule, la préface me paraît exagérée, car elle réclame le respect de l’homme de lettres pour la femme de lettres et insinue que l’histoire en question n’est pas une autobiographie. (Quel est le goujat qui l’aurait osé dire, Madame ?) Tout est joli en ce petit drame se passant entre la peau et l’esprit, où la grâce féline du corps le dispute sans cesse à la cruauté cérébrale. Vertueux, du reste, puisque l’héroïne recule devant l’adultère. Un minuscule reproche au sujet de cette phrase : « Elle avait un petit museau égyptien qui lui allait comme un gant… » Prenez garde à la peinture… des métaphores, Madame.
Ce texte suit la critique de La Jupe, de Léo Trézenik