Edmond Glesener

Histoire d’Aristide Truffaut, artiste-découpeur (Mercure)

Mercure de février 1898, pages 540-541

Une habile scie naturaliste, qui n’omet aucun détail, découpe cette histoire en petites tranches dites de vie et selon la méthode chère aux disciples du Maître. Le Maître, chez nous, c’est Zola, nommé ministre de l’Intérieur depuis peu. Chez les Belges, il s’agit de Camille Lemonnier tout aussi romantique, d’ailleurs, que le premier, en ce qui concerne le document humain. (Heureusement !) M. Truffaut est sous-chef au bureau de bienfaisance. Il collectionne d’abord les pipes, puis, pris d’un vertige capable, s’il se plaçait à un point de vue plus noble, d’en faire un artiste véritable ou presque un fou, il devient découpeur sur bois de boîtes à cigares. Il se ruine un peu, sa femme lui fait des scènes de mère Ubu, ses enfants se scandalisent ou s’émerveillent tour à tour, les amis admirent simplement et l’on boit maint litre à seize le jour des attendrissements généraux. Je n’aime pas du tout ce livre, ce qui me donne beaucoup plus d’autorité pour déclarer qu’il est absolument bien écrit, bien composé, et que s’il ne vient pas à son heure c’est que, très certainement, il n’y a pas d’heure pour les braves… et bons livres. En somme, Aristide Truffaut est, à sa manière, un chevalier de la Table ronde. Tout individu qui se passionne est un héros. Bien tenues, les scies peuvent devenir des sceptres. C’est ce genre de ténacité, sans doute, qui rend respectables les gens les plus bouffons et érigent nos maîtres romanciers, malgré la petitesse de leurs sujets, en ministres de l’Intérieur. Je ne chercherai pas querelle à Edmond Glesener parce qu’il use des locutions de son terroir et qu’il prend, de temps en temps, la déduction très logique de son art pour le relief même de la vie. Il ne veut pas plaire, ce qui est toujours de la probité d’écrivain, et il ne tombe pas trop dans l’excès du détail voulu. Il est bien plus près de la réalité que les ordinaires disciples parce qu’il s’efforce de se trouver simple sans viser à des effets simples et les quelques pages où l’on voit Truffaut sciant tout seul, loin des vulgarités, font très réellement rêver aux artistes méconnus travaillant dans des mansardes sous les étoiles.

Médaille à l’effigie d’Edmond Glesener (1929)