Édouard Dujardin

Les Lauriers sont coupés (Mercure)

Mercure d’août 1897, pages 339-340

À la dernière page, avant la table des matières des neuf chapitres, sous le titre Bibliographie, se trouve la note suivante : « Les Lauriers sont coupés a été publié dans les numéros 7-10 de la Revue Indépendante (mai-Août 1887). Le texte présent apporte quelques variantes. »

Voir aussi la notice d’Édouard Dujardin dans les Poètes d’aujourd’hui.

Le sourire bon, très bon, les yeux fatigués devoir fin, dans une pose d’attente correcte, trop correcte, le chapeau et les gants d’un soin délicat, quelque chose de soyeux et de moqueur se répandant sur toute la personne, tel se présente le Dujardin-Brummel d’Anquetin[1] aux premières pages de ce livre, et telle, aussi, la littérature de l’auteur, soucieuse étrangement d’être du monde et de la vie. Fort jeune, Édouard Dujardin passait déjà pour ce que les bourgeois appellent, en leur langue commune : un original. Mais, si attentif du pittoresque qu’il pût être, Dujardin fut toujours par excellence une âme tendre et bonne, et sous n’importe quel gilet de satin broché orgueilleusement ou n’importe quelle aventure de dilettantisme d’avant-garde, il sut conserver ce joyau rare du cœur intelligemment sensitif qui lui a inspiré la suprême raillerie des Lauriers sont coupés. Poète, il aime à vivre poétiquement dans certains fastes du geste. Il ouvrit à deux battants, certains soirs, les portes du Vaudeville, non point aux seuls snobs et confrères, mais à tout un peuple sans distinction de place et notoriété. Cohue mémorable ! Il inventa le décor symboliste avant le symbolisme et, lorsqu’on fera un sérieux recensement des novateurs en art théâtral, il faudra, sans s’occuper de l’outrance de ses pièces, classer Édouard Dujardin au premier rang. Il indiqua de belles choses décoratives. Je me souviens d’une montagne couleur d’ambre, d’où retombait des végétations de corail, qui produisait un effet terrible, non désagréable, et rehaussait d’une éclatante japonerie les plaintes gris-tourterelle d’Antonia. Dujardin est un des wagnériens qui ont le plus propagé les échos de Bayreuth. Fidèle au pèlerinage, touriste éloquent, il a entraîné nombre d’amis, converti beaucoup d’indifférents. Il dirigea la meilleure période de la Revue Indépendante. Son brin d’anglomanie lui donne le côté pratique des groupements et des ententes artistiques. Sociable, aimable, pourtant toujours un peu froidement mondain, il met, à la poignée de mains des faciles cordialités, les gants glacés de ceux qui ne veulent être qu’en visite sur terre. Dans les Hantises, série de nouvelles, le Diable Helkésipode est une chose curieuse, venue bien avant les démonologies débordantes du jour, et un peu plus documentée La terreur de son enfant est d’une fort belle moralité. À la gloire d’Antonia contient d’exquis détails féminins. J’avoue ma prédilection pour les pages des Lauriers où se rencontrent le Monsieur naïf, si humain, et la duplicité de la fille, une fille non de joie, mais de peines douces, pourrait-on penser, tant est propre l’expression de l’auteur jusqu’au fond de ses réalismes les plus tristes. Aucune trivialité le long des lignes réelles de cette ombre de femme ; de la pitié, de la caresse, un peu du bonheur de se sentir encore capable de demeurer sa dupe… jusqu’à la poésie !… « Leurs petits pieds vainqueurs trottinent sur les morceaux que font nos tristes os… » On peut pardonner au chantre d’Antonia de regarder de trop près, car il voit quelquefois très fin, l’original et doux poète.

  1. Rachilde confond ici le portrait d’Édouard Dujardin par Jacques-Émile Blanche reproduit ci-dessus avec le portrait-charge d’Édouard Dujardin par le peintre Louis Anquetin paru en couverture de l’hebdomadaire Les Hommes d’aujourd’hui en 1890 reproduit ci-dessous.

Édouard Dujardin, par par Jacques-Émile Blanche en frontispice des Lauriers sont coupés

Édouaurd Dujardin par Louis Anquetin pour Les Hommes daujourd'hui en 1890

L’Initiation au péché et à l’amour (Mercure)

Mercure de juillet 1898, page 229

Encore un jeune homme qui déplore que les débuts de la vie amoureuse soient vulgaires. Mais, mon Dieu, mes enfants, est-ce que vous ne pourriez pas rétablir les collèges de bayadères ? Voyons, un bon mouvement ! Plus d’hypocrisie et moins de pudeur ! Que l’on dresse un temple à la place de la maison… de plaisance et qu’on décrète la religion au lieu de l’utilité publique. Dujardin serait très homme à prendre telle initiative. Son livre est l’exemple amoureux et touchant d’un gamin fort bien élevé que cela ennuie d’avoir à connaître Georgette et Mignon tandis qu’il rêve de déesses mettant des formes à certains rites. Heureux le petit éphèbe qui rencontre la bonne déesse la nuit en clair de lune ! Seulement si tous les jeunes hommes rencontraient Dieu dans l’Amour, ils auraient vite fait de réclamer le diable sous la jupe de la pire souillon. Et ils sont la majorité, ceux qui cherchent l’aventure vulgaire, c’est-à-dire la négation même de la divine aventure.