Louis Delattre

Marionnettes rustiques (Auguste Bénard)

Mercure de mars 1899 pages 755-756

Louis Delattre (1870-1938), médecin et écrivain belge de langue française, membre de l'Académie royale de langue et de littérature française de Belgique de 1921 à sa mort.

Auguste Bénard est imprimeur-éditeur rue Lambert-le-Bègue à Liège. Ce livre est enrichi de dessins d’Armand Rassenfosse. Il présente douze contes. Son titre complet est Marionnettes rustiques montrant les bonnes petites gens à leurs métiers (163 pages).

De petits chefs-d’œuvre d’ironie et de grâce, ces petits contes photographiques, où le détail vrai saute tout de suite aux yeux. Pour quoi est-ce plus vrai, plus vivant que n’importe quelle autre histoire, celle du Maître et école ? Elle semble sortie d’une imagination très fine, très malicieuse et il y passe la fraîcheur du possible. Il faut savourer cela mot à mot, n’en rien perdre.

La Loi de péché (Mercure)

Mercure de septembre 1899, pages 776-777

C’est plutôt la loi de désir qu’il faudrait prononcer, car ils ne commettent point de péché les deux héros de ce livre. Ce sont deux jeunes gens de conditions simples et de tranquilles tempéraments. Ils s’aiment avec le besoin d’aimer que les oiseaux se découvrent au printemps. Ils ont le désir du bonheur et le vrai sens de la vie, mais je crois que la timidité du jeune homme empêche l’expansion naturelle de la jeune fille trop vierge ou trop coquette, et elle s’en va de lui parce qu’elle trouve dans un voyage quelconque le dompteur de son choix. Pierre-André se contente d’avoir, comme un vase d’élection, tout contenu de ce qui peut remplir de joie un être humain, et, plus fort de ce qu’il a tout gardé, il s’en retourne au village natal vivre de ses seuls souvenirs. Pour écrire et faire lire ce roman en y attachant le lecteur, il a fallu le don de grâce de l’auteur. Rien de moins banal que cette histoire très ordinaire d’un cousin et d’une cousine. Il n’y arrive rien et pourtant on n’en passe point de page. Un charme fait de lumière et de parfum ruisselle sur ce style frais, toujours clair, toujours d’expressions justes. C’est tendre et bon comme du pain chaud. Cela sent également la bonne chair saine des enfants bien portants et le froment nouveau. La jeune fille qui trompe l’attente suprême du jeune homme n’est point détestée ni maudite. Elle donne ce qu’elle pouvait donner d’enthousiasme et de richesses philosophiques au cœur épris qui l’espérait plus belle encore. L’irréalisable seul est plus beau. La mission est terminée lorsqu’elle échappe dans la vulgarité d’une trahison possible. A-t-elle oublié ou s’est-elle plus entièrement offerte ailleurs ? Celui qui la perd corporellement l’emporte jusqu’à l’âme et nul ne la possédera ainsi puisqu’elle sera une autre femme. Ce sentiment très délicat exprimé dans tous les chapitres ne sera guère compris, j’en ai peur. La joie très réellement divine de l’amour s’exaltant vers la fin dans la plus franche des allégresses humaines paraîtra paradoxale et peut-être bien folle, cependant ce livre est une bonne œuvre et sous couleur d’amour s’y cachent de grands enseignements de morale… Non pas celle des hommes, je veux parler de celle qui pourrait émaner d’un Dieu.