Alphonse Daudet

Soutien de famille (Fasquelle)

Mercure de mai 1898, pages 544-545

1. Le seize décembre dernier.

Le dernier roman du grand romancier mort depuis peu[1]. C’est une œuvre tendre, assez dramatique et pleine de jolis détails. Le jeune homme qui la traverse est un de ces types en demi-teinte chers à Daudet qui semble les avoir inventés, tant il leur donne l’apparence de la vie. Un être faible, sans grande volonté, mais aussi rempli de délicates choses et de ces sentiments, très humains, qu’on ne définit pas, car ils sont toujours le mystère humain. Il y a une tête de jeune femme se dépouillant de sa chevelure qui est, à de certaines pages, bien ravissante et originale sans outrance. Ni recherche de morale particulière, ni constatation brutale : c’est tout un programme de politesse que le style de Daudet. En Alphonse Daudet, la France perd le romancier le plus capable de faire apprécier sa langue usuelle. Daudet écrivait pour tout le monde, mais il écrivait bien, avec une finesse qu’ignore généralement le romancier dit mondain et avec une grâce que ne peuvent jamais acquérir les romanciers dits populaires. On peut aimer ou ne pas aimer les livres d’Alphonse Daudet, mais il serait difficile d’avoir pour lui le mépris qui s’attache aux écrivains trop féconds : Alphonse Daudet, qui ne voulait point faire partie de l’Académie, était cependant le seul académicien français très digne de ce titre, au sens réel qu’il devrait avoir.