Gaston Danville

Vers la Mort (Lemerre)

Mercure de mars 1897 page 595

Dans une exquise tonalité gris-mauve, çà et là égratignée de sang ou de soleil, Vers la Mort, de Gaston Danville, est la très fine notation d’une névrose, qui pourrait presque s’appeler la Vie, chez un sensitif fatalement condamné par tous ses atavismes. À s’entraîner vers le néant, Jacques de Serny met le paresseux effort qu’un poète mettrait à voiler de termes ambigus des opérations scientifiques et il tâche de rencontrer sur son chemin, pente irrésistible, toutes les enjôleuses qui essayeront, vainement, de le retenir au bord du gouffre comme de fragiles touffes de menthes retiennent les mains du désespéré roulant, le front encore levé vers le ciel. Une amie, Gilberte, a peur, un soir, du monstre guettant en le cerveau songeur de son ami ; d’instinct, elle sent que la mauvaise fée veille dans le palais des chimères où tout s’assoupit peu à peu, pensée d’amour ou noble volonté d’étude. C’est une rivale des plus dangereuses parce qu’on ne connaît pas son nom, et la femme, douée, elle, de la puissance banale de l’action (banale puisque cette puissance doit conduire au même but !) se sauve, se dégage, la première, de ses liens que nouent et compliquent des doigts froids se mêlant intimement aux doigts brûlants des étreintes. Ils sont trois, toujours, et, lasse du partage avec l’inconnu, la femme s’enfuit. Une fiancée, témoignant de la générosité contraire, c’est-à-dire offrant son pur amour en palladium, précipite la chute du doux somnambule et sert peut-être à prouver qu’au-delà des lois delà science… du bien et du mal, il y a encore d’autres souffles inexpliqués dirigeant, supérieurement, les pauvres vouloirs des humains. Et Jacques de Serny se tue pour échapper enfin à l’éternelle envie de mourir. Ce qui plaît dans ce roman, tout en nuances délicates, c’est d’y voir traiter l’amour par un homme qui s’occupe beaucoup plus du mystère de la sensualité que de l’acte sensuel lui-même. À décrire un coucher de soleil ou l’animation bariolée d’une ville en fête, l’auteur souffre, aime, désire, et pleure sans qu’il soit besoin, dans cette transposition du rythme passionnel, d’appuyer avec impolitesse. Une douceur de fleurs d’amandier balancées dans le vent s’exhale des phrases qui peignent une époque de tendresse amoureuse, et lorsque la branche d’amandier fleurie entre, réellement, auréolée d’un ciel de Nice, par une croisée ouverte, c’est bien davantage l’amour contenu du futur fiancé qui s’épanouit sous le rayon d’un timide espoir de vivre. Ah ! « La lumière du jour serait si douce… » Vers la Mort est un bon livre, car il est sérieusement documenté, mais non pédantesquement, et l’auteur a su dissimuler, sous une gaine de rare velours — gris mauve, à reflets de soleil ou de sang — le toujours trop dur éclair d’acier du scalpel.

Gaston Danville (Armand Abraham Blocq, 1870-1933), romancier Mercure (le plus souvent), a dédié Comment Jacques se suicida (1891) à Alfred Vallette, L’Ange noir (1892) à Louis Dumur et Le Rêve de la mort (1892) à Rachilde. Ces nouvelles ont été rééditées, avec celles d’autres auteurs (150 nouvelles en tout, plus de mille pages), en 2008 dans la collection Bouquins sous le titre collectif Petit musée des horreurs. Nouvelles fantastiques, cruelles et macabres. Gaston Danville est le promoteur d’une réforme de l’orthographe. Son épouse se suicidera, voir le Journal de Paul Léautaud au 22 décembre 1931.

Les Reflets du Miroir (Mercure)

Mercure de novembre 1897 page 559

Bjœrnstjerne Bjœrnson[1] a écrit, en tête de ce livre, d’affectueuses paroles parce qu’il a compris que Gaston Danville était un tendre, noblement ému de la vie, et non un révolté qui verse la causticité de ses larmes à la surface de son encre. Du fumier des luxures, l’auteur des Infinis de la chair2 aime à faire naître des fleurs. Il choisit les plus irisées, les plus parfumées, les plus délicates et les offre, en gerbe étroitement liée par sa volonté de les offrir suaves, presque candides. Il a vu, en rêve, un idéal de femme que son âme reflète ; non, je pense, parce que cet idéal peut exister, mais parce que son âme est un miroir d’une pure sensibilité sur lequel n’ont pas prise les images grossières. Et il cherche Phyllis sans oser la trouver. Il se trompe souvent d’adresse. Le reflet est de plus en plus insaisissable et si les cheveux de celle qui ressemble à son idole sont bien de la même nuance, il n’a pas toujours confiance en la couleur de ses idées. La Phyllis, plus positive, existe, cependant, et il lui suffirait, pour la compléter, d’ajouter, aux reflets du miroir, son âme à lui qui la dorera de toute la poésie désirable. Cette âme en glace me fait un peu peur. Au travers, les nuances de la passion se décolorent quelque fois. Elles deviennent si ténues et si fines qu’il est à craindre que l’auteur abîme la force de certains de ses raisonnements dans ce que l’on a dénommé, pour Catulle Mendès, « le fin du fin, en littérature. » Pourtant, tout s’achève bien ; il ose compléter Phyllis. Et la complétant il a dû la trouver, certes, doublement plus belle que son rêve. De jolis paysages, une étonnante fraîcheur de pastel dans les portraits de femmes et, de temps en temps, une amusante conversation mondaine. Une remarque, histoire de taquiner Gaston Danville. Son inconnu dit : « Je ne vends pas mes pensées, je les donne… » Heureusement que le Mercure les vend, lui ! Ah ! ces poètes !… Ce qu’ils sont dans les nuages !

  1. Bjørnstjerne Bjørnson (1832-1910 à Paris) poète norvégien prix Nobel de littérature en 1903. Un de ses poèmes est devenu l’hymne national norvégien. Il a écrit la préface des Reflets du miroir.

  2. Gaston Banville (Armand Abraham Blocq, 1870-1933), Les Infinis de la chair, premier roman paru chez Alphonse Lemerre en 1892.