Marcel Boulenger

La Femme baroque (société française d’imprimerie et de librairie)

Mercure de décembre 1898 page 748

Première œuvre d’un jeune auteur original qui dédie son livre à Jules Renard, le roi des originaux. Cette femme est charmante. Elle vole des mouchoirs et souffre qu’on lui en jette, même pour le bon motif. Baroque est mis ici à la place de névrosée. Le héros de l’aventure la rencontre dans les allées d’un parc provincial, un jour d’automne rempli de feuilles mortes et d’idées moisies. Il cherche Louise de Vaudemont, ombre royalement amoureuse de cette poupée fantôme d’Henri III. Il s’aperçoit, tout en tournant des pages anciennes, que l’amour très légitime de cette pieuse princesse pour le mignon couronné pourrait bien être une passion mauvaise. Il arrive si souvent que les mauvaises passions deviennent légitimes ! Et en étudiant le caractère bizarre de l’honnête femme qui est veuve, le long des allées, en robe havane, couleur de muraille, de mystère ou de pourriture savante, il découvre la petite habitude néfaste de s’emparer des mouchoirs et même des palimpsestes précieux. Rien qu’une habitude, un brin d’inconscience, une maladie tarant les plus belles qualités et qu’on pleure en secret comme une faute. Louise de Vaudemont, en prenant la coutume affectueuse de faire les premières avances à un époux assez froid dans le particulier, dut tellement s’égarer sur le chemin des choses légitimes, permises ou défendues ! Sans blaguer Marcel Boulenger à propos du délicat sujet choisi par lui dans son histoire des femmes de France et de celles de province, il convient de louer son style étincelant d’esprit, style d’humoriste qui a trop d’humour (on a toujours trop de quelque chose quand on est jeune) et qui ne se permet jamais une phrase ordinaire. Cela rappelle les premiers écrits impertinents de Maurice Barrés, mais c’est plus d’un érudit et on y rencontre moins de défaillance. Maintenant, pour le consoler de rappeler quelqu’un, j’affirmerai au jeune Marcel Boulenger qu’il est déjà aussi vieux que possible ; j’ai même peur qu’il ne puisse plus rien apprendre.

Marcel Boulenger (1873-1932) est romancier, journaliste et escrimeur. On se souvient de lui pour ses biographies de personnages imaginaires, auxquelles beaucoup ont cru.

Le Page (Revue blanche)

Mercure de janvier 1900, page 195

Un monsieur fait une cour qu’il croit ingénue à une jeune fille qui se croit ingénue. Dès qu’il avoue sa pauvreté… de page, la jeune fille est obligée de réfléchir et elle réfléchit si longtemps qu’elle en accueille un autre, valse avec lui sans trop d’indifférence. Puis, arrive le moment décisif. Le page, comme un preux de jadis, monte à cheval pour se mesurer dans la lice… avec son rival… mais, pas du tout comme un preux… il le tue. Alors (c’est en ceci que Marcel Boulenger semble connaître les femmes un peu mieux que les auteurs à tirades sentimentales) la jolie fiancée lui donne à entendre que c’est… l’assassin qu’elle préfère !…