Albert Boissière
Les Magloire (Fasquelle)
Mercure de juin 1899, page 762
Mœurs rustiques prises sur le vif en Normandie. On en est vraiment effrayé du vif de ces mœurs. On se croirait au moyen âge ! Inceste, viol, ivrognerie, tous les vices, toutes les turpitudes se passent là très tranquillement, avec, pour ornementation principale, des phrases paisibles faites depuis des siècles par les paysans sur la couleur du temps et l’état des récoltes. Même qu’on décerne des primes et des médailles d’honneur au rural qui couche le plus, je crois ! Les femmes sont complices de leurs mâles pour l’engraissement des porcs et l’engrossement de leur servante. Il y a bien une jolie petite figure de paysanne, Rosine, qui tâcherait d’aimer selon la nature, mais la nature pure ne lui apprend qu’à se résigner après l’amour, et elle s’endort, vers la fin du livre, d’un sommeil animal. Un type de curé que le vice écœure et qui n’ose lutter contre lui ouvertement, un médecin, ironiste, qui a l’air, au contraire, de pousser à la consommation, et de jolies descriptions de campagne fraîche au milieu de ces fumiers, rehaussent la philosophie morne de ce roman, un livre trop noir pour être cependant réaliste de tous points, cependant un bon livre, bien composé et habilement écrit.
Une garce (Fasquelle)
Mercure d’avril 1900, page 199
Mœurs des grèves, paraît-il. Marinette est une fille bizarre, laide et folle de son corps, qui devient belle dès qu’elle est en furie et qui personnifie, je crois, la mer. Elle est courtisée par des gars qu’elle rend criminels à volonté. Un type de breton perdu en des pêcheries de Dieppe est assez curieusement créé, il meurt sous un coup de matraque sans avoir eu le temps de rien saisir de précis dans la vie que ce coup-là. Marinette le pleure et le venge. Un autre type curieux de braconnier : le Halleux. Toutes les scènes sont narrées en un patois très trivial, et, autour de ces scènes vivantes et excessives, le style de l’auteur glisse des préciosités extraordinaires comme cette phrase au moins bien grand siècle pour les mœurs des grèves : « laissant flotter les rênes de sa mélancolie. » En somme, un livre en dehors de toute banalité et plein de couleur, donc un bon roman de plus.
Les Trois fleurons de la couronne (Fasquelle)
Mercure de décembre 1900, pages 793-794
En un style très intéressant, où l’on voiture peut-être un peu trop les commodités de la conservation, l’auteur nous montre le duel amoureux de deux êtres las d’aimer sans amour. De petites piqûres d’épingles en coups de pointe, on en arrive à un suicide très ciselé, plein des fleurs les plus rares. Il y a des névroses de gens de lettres, des analyses de fin du fin et c’est extrêmement artistique. C’est à la fois voluptueux et savoureux. Sous ce voile brodé on aperçoit une impeccable statue. Ce n’est pas autant de la vie vraie que de la vie moderne, mais c’est bien fait et si les femmes peuvent lire cela sans pleurer, les hommes, en le feuilletant, surtout les hommes d’art, ne pourront pas s’empêcher de tomber en admiration devant certaines pages qui sont de très réels chefs-d’œuvre d’orfèvrerie littéraire.