Claude Berton

La Conversion d’Angèle (Fasquelle)

Mercure doctobre 1897 page 231

Gros drame écrit en style léger. À part qu’on y retrouve quelques personnages de Paul Hervieu[1], lesquels personnages sortaient de la boîte magique des Liaisons dangereuses, ce roman, dialogué un peu trop spirituellement, est très attachant, plein de mots délicieux, de silhouettes bien ultra-parisiennes. Claude Berton est-il sûr que tous les mondes aient autant de verve ? Je n’ai pas l’ironie de prétendre que les soireux sont bêtes, mais avec une page de conversation de ce livre on alimenterait certainement vingt soirées parisiennes, surtout au théâtre. Angèle est la femme d’un… souteneur de la haute, le baron de Wark. Elle l’entretient et s’entretient de tous ses efforts vers le vice, mais ils sont traversés (les efforts) par un jeune innocent aux mains pleines qui se fait aimer pour ses seules richesses physiques… Dans le vrai monde parisien, la sentimentale baronne lui aurait passé une demi-bourse et le trio eût vécu très heureux, d’un bonheur au moins normal, mais, les romanciers, seuls à se piquer d’honneur dans la triste humanité, outrent toujours les situations : Angèle respecte son amour et finit, je crois, par en mourir, dans les bras de son amoureux stupéfait. À détacher de ce tableau un peu noir le type clair et bon enfant de Julie Savon accompagnée de ses oies blanches. Je ferai à Claude Berton le reproche d’une certaine scène d’éthéromanie qui est tout à fait révoltante et n’ajoute rien au piment de son œuvre. Je crois que l’esprit est une paillette que la pornographie ne doit pas ternir, car c’est si léger l’esprit… Une fois terni on s’aperçoit trop de sa légèreté. Les romans dialogués deviennent à la mode. Je les recommande aux voyageurs. C’est exquis à lire en chemin de fer, mais encore faut-il qu’ils soient bien signés. La Conversion d’Angèle est un de ceux-là.

  1. Paul Hervieu (1857-1915), avocat, romancier et auteur dramatique. Ami d’octave Mirbeau il a été néanmoins un dreyfusard engagé. Préoccupé par les problèmes sociaux de son temps, il les expose dans des romans psychologiques et mondains, à la manière d’un Paul Bourget, et dans des pièces de théâtre, volontiers moralisatrices aux dénouements aujourd’hui invraisemblables. Paul Hervieu a été élu à l’Académie française en 1900 au fauteuil d’Édouard Pailleron et reçu la même année par Ferdinand Brunetière. La Société des gens de lettres distribuera, plusieurs années de suite, une Médaille Hervieu.

Au coin d’un bois (Fasquelle)

Mercure d’octobre 1898 pages 202-203

Le coin du bois, c’est, je pense, la grande vie parisienne ? Une jolie, très jolie silhouette de femme bibelot : la marquise Giselle de Corlieu, noyée dans un déluge de vieilles tapisseries dont il sort plus de poussière, à les secouer, que d’enseignements neufs. Les traditionnels ministres voleurs de notre république, les saltimbanques de la Bourse, les anarchistes de salon et le grand seigneur, le fameux grand seigneur blasé qui est chic et dont le chic fatigue parce qu’on appuie trop sur ce seul bouton de son smoking. Le roman parlé est délassant à lire, mais je ferai le petit reproche à l’auteur de trop accumuler de détails dans ses décors préludes. On peut avoir envie d’en laisser et c’est souvent dommage.