Marcel Barrière
Le Nouveau Don Juan (Lemerre)
Mercure d’avril 1900, page 201
Ce long roman est paru chez Alphonse Lemerre en trois tomes : I : L’Éducation d’un contemporain, II : Le Roman de l’Ambition, et III : Les Ruines de l’amour. Rachilde traite ici des deux premières parties.
L’œuvre de Marcel Barrière et l’heptalogie prédite par Rachilde sera reprise par Gallimard et annoncée dans les premières pages de publicité du numéro de La NRF de mai 1933. Ce texte publicitaire, vraisemblablement rédigé par l’auteur ou au moins depuis de éléments fournis par lui est d’une grande précision bio et bibliographique, au point qu’a paru évidente la nécessité de le reproduire ici, bien que la composition de cette heptalogie reste incertaine :
« Marcel Barrière, né à Limoux. Élevé chez les pères Maristes de La Seyne-sur-Mer, pour préparer l’École navale, il termine ses études au lycée Saint-Louis à Paris. Entre à l’École militaire de Saint-Cyr, puis passe à l’École d’application de cavalerie de Saumur.
« Peu de temps avant de donner sa démission d’officier M. Barrière embrasse la carrière littéraire. Son premier ouvrage est une étude littéraire et philosophique sur La Comédie humaine, intitulée l’Œuvre de H. de Balzac. Dix ans s’écoulent entre cette publication et celle de la première série de romans de Marcel Barrière, années pendant lesquelles, tout en faisant du journalisme, il édifie le plan de l’œuvre de toute sa vie, qui, sous le nom d’Heptalogie, comprend sept séries d’ouvrages dont : trois séries de romans sur l’évolution sociale universelle, trois séries d’études philosophiques, une série de critique et d’analyse.
« En 1900, paraissent les 3 volumes du Nouveau Don Juan (premier en date, pour le XXe siècle, des romans-fleuves), l’Éducation d’un contemporain, le Roman de l'ambition, les Ruines de l’amour, tableau synthétique de la société française dans les trente dernières années du XIXe siècle. — En 1904, L’Art des Passions, étude psychologique qui, refondue et augmentée d’un chapitre sur la vie des courtisanes modernes, est rééditée eu 1923 sous le titre Essai sur le Donjuanisme.
« En 1909, paraît Le Monde Noir, roman sur l’avenir des Sociétés humaines, et en 1911, La Nouvelle Europe, anté-histoire de la dernière guerre, volumes de la série La Dernière Épopée où se trouvent prédites la guerre de 1914 et ses principales conséquences.
« En 1914 paraît Saint-Ange d’Ax, histoire d’un amour élégiaque sous la Restauration, puis successivement : Le Mauvais Éros (1923) (chronique de mœurs du second empire) ; Le Sang d’Asmodée (1924) chronique de mœurs de la première époque du tango ; Les Nouvelles Liaisons dangereuses (1925) ; La Vierge et le Taureau (1926) ; Le Roman d’un royaliste (1927) ; La Plastique féminine paru en 1929, étude d’anthropologie esthétique, illustrée par des dessins du peintre Gustave Brisgand.
« En préparation les Précurseurs qui comprendront sept à huit volumes dont les derniers sont des anticipations (rien de la manière de Wells) le premier volume à paraître de celle série est Le Roi d’Ibérie, anticipation sur les destinées de l’Espagne.»
Sous le titre plus général du Nouveau Don Juan, ces deux volumes sont les premiers de sept, une heptalogie ayant pour but de faire connaître les hommes de demain. D’abord une introduction liminaire (?) nous apprend que Balzac et que Zola… oui, parfaitement. Et on passe à la préface du Nouveau Don Juan, où l’on explique cependant que ce livre n’aurait pas besoin de préface. Ouf ! Au courant de celte troisième préface, j’apprends que feu Mallarmé, conduisit les lettres au néant et que les symbolistes sont des esprits mous. On cite des tas de noms propres et beaucoup de latin. On classe tout le monde et on fait le procès de quelques-uns. C’est pédant, irritant, fatigant, mais c’est… liminaire, quoi ! Enfin, on arrive au roman… il a un prologue ! (Ici le lecteur a le droit de jurer.) Au cours de cette éducation d’un contemporain aussi… contemporain qu’un Médicis, des jeunes filles plongent leurs yeux dans l’insondable abîme des yeux de Don Juan Baratine Le Gow, prince pour nous servir. Ce jeune homme, un très Russe, passe son temps entre la musique et la science pour plus tard passer toutes les dames au fil de l’épée d’amour. On commet pas mal de fautes irréparables, y compris quelques-unes de français. Une grande cantatrice vierge, Bianca, enflamme le héros. Brunehilde s’adresse au guerrier vaillant et fort. Salade symboliste. Don Juan découvre, avec l’auteur, que les yeux et la bouche sont les organes principaux de la volupté. Bien bizarres découvertes ! Maintenant, comme je ne me permets pas de juger, je vais lire, c’est plus prudent, et voici le début du Roman de l’ambition : « Ce fut le cœur battant et avec l’ardeur d’un lion adulte et rugissant de l’allégresse de sa puberté toute neuve que le sous-lieutenant Le Gow, prince Baratine, regagna Paris. Comme un pur-sang qui sort du haras à l’apogée de sa forme, les naseaux écumants, le pied creusant le sol, son poitrail musculeux face au soleil levant… le jeune homme arriva… son organisme était comme le rouage d’une machine automobile sous pression. »
De sorte qu’en un seul homme on trouve un Russe, un lion, un pur-sang et une automobile. Choisissez, Mesdames ! Et plus loin : « Baratine, en effet, lorsqu’il portait l’uniforme, semblait créé exprès-pour être l’aide de camp d’un empereur. Rien que par le brillant hors pair de sa tenue il appartenait à cette élite où le flair des vieux généraux… »
Don Juan moderne en officier d’état-major ! Ça c’est le coup du lapin… jamais il ne séduira une juive… Alors… comme les seules juives sont les jolies femmes modernes… sa carrière est brisée.
Les Ruines de l’amour (Lemerre)
Mercure d’octobre 1900, pages 186-187
Ce roman est la troisième partie du Nouveau don Juan. Le Don Juan nouveau, entièrement copié sur l’ancien, y compris l’apparition d’une statue de commandeur vers la fin, est curieux en ce sens qu’il dénote, de la part de son auteur, une patience et un courage des plus aveugles.
J’ai reçu, indirectement, une lettre spirituelle dudit auteur blâmant spirituellement ma conduite à l’égard de ses deux premiers volumes. Oui, Monsieur, je le reconnais de grand cœur : il y a un effort immense tenté dans voire œuvre, et vous devez ne plus voir, en elle, que l’effort, le travail très réel qu’elle vous a coûté ; mais il s’en dégage pour le lecteur, toujours très exigeant, un parfum ancien, et ce parfum lui fait découvrir l’autre don Juan, tous les autres don Juan. Voilà ce qu’il aurait fallu éviter. Comment aurait-il fallu éviter cela? Je n’en sais rien. Maintenant, la dernière épopée[1] peut nous apporter une conclusion nouvelle, une morale très personnelle. Je suis assez courtois pour l’attendre et relire l’œuvre entière, soit quatre volumes, afin de me former un jugement définitif, même, en supposant, par-dessus le marché, que vous ne vous en souciez plus. Ce ne sera pas pour vous plaire que je ferai cela, ce sera pour l’amour de mon métier, du très libre exercice de mon métier, oui, Monsieur.
Cette Dernière épopée comprend deux tomes : Le Monde noir et La Nouvelle Europe.