Claire Albane
L’Amour tout simple (Mercure)
Mercure de janvier 1900, pages 190-191
Il va de soi que Claire Albane n’a rien à voir avec la comédienne Blanche Albane, épouse de Georges Duhamel. Elle n’aura que quatorze ans en octobre prochain.
Maurice Maeterlinck, Le Trésor des humbles, recueil de treize nouvelles mystiques, Mercure 1896.
Chaque fois que j’ouvre un livre nouveau écrit sur l’amour par une jeune femme, je me demande : « Voyons un peu quelle forme de chapeau on adoptera cet hiver ? » Car c’est généralement cela que l’on trouve dans les livres d’amour des très jeune femmes, qu’elles soient ou non des écrivains, qu’elles se classent ou non dans la joyeuse et nombreuse famille des dames féministes. Pour ce volume-ci, je suis déçue. On y parle de l’amour en un langage fort naturel… et bien par hasard français, de la bonne race de France qui ne déguise ni ne daigne y aller par les quatre chemins d’usage (Mme Tinayre appelle ça : les quatre cheveux, ou le cheveu qu’on coupe en quatre je crois !) C’est l’amour tout simple… et un brin forcené, car il recule devant le mariage de raison, pour en revenir à la simple raison du plus fort : celle des sens ! J’en suis fâchée pour les femmes qui s’imaginent qu’on peut choisir… et qu’on détermine ses actes d’amour par des réflexions motivées. L’héroïne de ce roman, une institutrice pourtant, une femme très universitaire, ne choisit pas, elle subit et elle retourne… comme dirait la brutale Écriture, à son vomissement. (Il est d’ailleurs très joli garçon !) Entre temps, il y a bien Montaigne, Pascal, Vigny, et le Trésor des humbles[1] qu’on feuillette pour se faire une philosophie, mais ça n’est là que pour une aimable réclame au Mercure, car le joli garçon arrivé, on se déshabille ! Corbleu ! Mesdames les jeunes femmes du nouveau siècle, ce n’est ni la pudeur ni la… grâce de 1830 qui vous étouffent, mais bien plutôt les vêtements. À la bonne heure ! Je me frotte les mains. Moi, pour ce que j’aime la littérature les féministes, je suis toujours ravie quand je vois tomber, dans leur plat de choux pour enfants syndicataires, une jolie bonne femme d’héroïne, qui leur déclare que ce que l’on veut d’abord, c’est le baiser. Le reste ? Des flûtes ! Foin de l’amour compliqué pour crépuscule d’âme et zut ! pour l’amour classique gouverné par la sagesse d’une classique philosophie. On couche, d’abord avec le même, ensuite… Ah ! La suite au prochain numéro ! Et allez-y, Mesdames, vous n’êtes pas mes filles, heureusement ! Mais ces jeunes personnes un peu fougueuses, les unes blâmant les crépuscules d’âme, les autres n’admettant que la froide raison, pourraient-elles me dire ce qu’elles, pardon, ce que leurs héroïnes deviendront vers la trentaine ?… Si elles se résignent si difficilement et si elles s’émancipent de si bonne heure, si elles n’entendent, n’écoutent, dès l’aube, que la voix de leur belle passion bien portante et frénétique, qu’est-ce que ce sera donc, le soir, durant leur automne ? Je demande à regarder de près ces héroïnes-là lorsqu’elles auront l’âge des… crépuscules d’âmes ! Voyez-vous, mes chères petites sœurs de la nouvelle école d’amour, la pudeur, le renoncement, et la tenue, la fameuse tenue dont parlaient nos mères de 1850 à 1860, ce n’étaient qu’autant de jolis secrets de beauté, les secrets professionnels. Il ne s’agissait pas de vertu. (Je vends la mèche… nos grand’mères sont sorties !) Il s’agissait : de conserver ses seins droits le plus longtemps possible !