Marcel Schwob
Vies Imaginaires (Charpentier)
Mercure d’août 1896 page 348
Voici un historien non moins terrible pour sa complexité : Marcel Schwob, lequel s’avise de nous offrir d’exactes Vies Imaginaires. Je ne trouve pas d’autre moyen de traduire la sensation qu’on éprouve en parcourant ses nouveaux grands hommes de Plutarque. Avec les très petits détails venus jusqu’à nous sur les ailes de la légende encore bien plus que sur celles de l’histoire, Marcel Schwob reconstitue les existences célèbres des premiers dieux du monde, et aussi des premiers fous. Il nous montre leurs vrais desseins en notant leur manière de nouer leurs sandales. Partant de ce principe qu’une existence curieuse, unique, fût-elle celle d’un porcher, est aussi curieuse et unique que celle d’un monarque, il mêle, en une savante cacophonie de sons de voix, les noms de M. Burke et Hare[1] aux noms d’Empédocle et d’Erostrate. Je crois qu’il doit avoir raison, car les assassins, ceux qui ressuscitent les mortes et ceux qui se tuent par philosophie, forment de parallèles cortèges de malfaiteurs. Si Marcel Schwob avait le temps, je lui conseillerais d’ajouter à ce cours d’histoire ancienne possible toute la galerie de nos rois de France, écrite avec cette concision littéraire, cette sûreté de vision et cet esprit du détail anecdotique sublimant le récit en une opération au tableau, qui nous donne devant l’X ténébreux du problème le résultat éblouissant d’un jet de flamme blanche jaillie sous la craie et illuminant toute l’étendue du champ des suppositions. Il faut lire Septima[2] pour se douter réellement de la force que peut prendre la séduction de l’imaginé dans le cerveau d’un érudit tel que Marcel Schwob, mais combien serait encore plus délicieux de l’entendre lire par l’auteur, qui est le seul, parmi les conteurs de notre temps, qui sache mettre en valeur les mots sonores d’une belle page !
1. « Burke et Hare » est le dernier récit des Vies imaginaires. William Burke (1792-1829) et William Hare sont deux émigrants irlandais auteurs de 17 meurtres à Édimbourg en 1828 afin de fournir des cadavres à l’école de médecine.
2. « Septima » est le quatrième récit des Vies imaginaires.
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