Adolphe Retté

La Seule nuit (La Plume)

Mercure d’octobre 1899, pages 220-221

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Voir la notice d’Adolphe Retté dans les Poètes d’aujourd’hui.

Voici un roman qui est un conte, parce que cela pourrait ainsi débuter : « Il était une fois un père qui avait trois fils… » et aussi un pamphlet contre la société parce que l’on s’y occupe fort d’anarchie. La manière dont est tramée cette histoire rappelle un peu les romans de Voltaire. (Je pense ne pas humilier Retté en citant ce nom.) Il s’agit de trois ou quatre candides, dont l’un garde sagement le logis, par avarice, et l’autre, le dernier, couche d’aventure avec sa mère ! Je n’ai aucune qualité pour juger de la portée sociale de l’œuvre. Je me bornerai à en dire le plus grand bien au sujet de sa valeur poétique. Le portrait du vieux philosophe, le père des quatre fils, est le portrait du monde, du vieux monde, laborieux, pensant, et préparant le nouveau dans la nuit, la seule nuit, et peut être pour la nuit suprême, la dernière nuit. De superbes images comme celles-ci : « … et la nuit, rôdeuse autour d’eux, semblait une panthère au pelage d’étoiles ! » Pour celle-là, je pense qu’on peut absoudre les pires folies anarchiques et même… sociales ! Une certaine rencontre entre le soldat de la bande lâchée dans Paris et un souteneur en train de descendre le pante est une pure merveille de bouffonnerie macabre. Je crois un peu exagéré le passage concernant Abscons Lunaire, mais point celui traitant de l’étonnant genre de confraternité qui unit les poètes modernes. Cela est fort bien dit, ma foi. Tout le livre est nerveux, exalté, vibrant et galope en l’imagination du lecteur. On y trouve pas mal de servantes sans pudeur, mais on y parle des roses avec la courtoisie qui fleure bon son gentilhomme. Ai-je déclaré déjà que tout poète est chevalier ?…

Enfin la Seule nuit est un livre intéressant, écrit d’une façon lucide et qui, s’il n’élucide point la question sociale, remplira de joie les écrivains lyriques.