Joséphin Péladan

La Vertu suprême (Flammarion)

Mercure de décembre 1900, page 794

Cette Vertu suprême est la quatorzième partie d’un ensemble plus vaste paru sous le titre général La Décadence latine, présentée comme une éthopée en une vingtaine de volumes et plusieurs éditeurs.

Une éthopée, nous dit l’édition 1932 du Dictionnaire de l’Académie, est une « Figure de pensée qui a pour objet la peinture des mœurs et du caractère d’un personnage. » On peut donc en déduire que de nombreux récits — La Nausée, par exemple, ou L’Étranger — sont des éthopées.

Peladan ou Péladan ? De nombreuses sources, toutes plus fiables les unes que les autres (encyclopédies, musées, BNF, couvertures de livres — dont celui traité ici —, études sur le personnage…) utilisent indifféremment l’une ou l’autre graphie. On peut penser que l’incapacité de nombreux scripteurs à former un É est la source de cette incertitude.

Dans le Mercure, Rachilde indique en nom d’auteur « Sar Peladan » Le musée des arts de Lyon (Joséphin Péladan est né à Lyon) et la BNF écrivent Sâr.

Je crois très fermement que le ridicule ne tue que les gens qui ne sont pas nés sous l’étoile du génie. Mais, en revanche, je ne crois pas qu’on puisse être un homme de génie sans se douter ou, tout au moins, sans souffrir du ridicule. Que penser alors d’un homme de talent qui ne voit, dans la vie littéraire, que l’occasion de puiser le ridicule à pleine main pour se le répandre sur la tête ? On a beau avoir beaucoup de cheveux, ça ne vous préserve pas des blessures d’amour-propre, blessures quelquefois perforant jusqu’aux cervelles. Le cerveau de M. Peladan doit avoir un trou par lequel a passé ce qu’il possédait de dons réels. À l’heure actuelle il garde son masque en dehors du carnaval et il commence à avoir tort. Ces livres sont de bien superbes élans d’impuissance. Il n’est ni très savant ni très observateur ; sa couronne, sa chevelure, sa barbe de sar, tout ça blanchit comme le chocolat Menier, mais c’est beaucoup plus dur à avaler. La vertu suprême, c’est un mélange de grands gestes qui ne mènent à rien Il y a toujours des tas de Messieurs entretenus très normalement par des grandes dames et le lecteur commence à en avoir assez, absolument comme les grandes dames. Si on avait fait un jockey pape, pour un soir, il parlerait dogmes comme les héros de ce livre et serait rose-croix avec les mêmes sentiments de vulgaires petites tapettes. C’est fatigant, écœurant et, de plus, on y découvre la fatale excuse, la tare sinistre de la monomanie des grandeurs. C’est aussi bête que fabuleux et ça n’a pas de suite. Mais si vous aimez Lesbos, on en a mis partout et cela doit faire un rude effet aux vieilles filles qui portent leur vertu au fond de leur cabas. Il y a une belle dame « aux seins avivés par la maternité » qui doit tout de même s’embêter ferme de se trouver parmi ces chèvres amoureuses d’un fantôme d’andrinople. Enfin, c’est l’affaire du Sar ! Ça n’est ni beau ni vierge, mais tout cela se vend.