Jacques de Nittis
Venus ennemie (Éditions de la Revue blanche)
Mercure de mars 1900,pages 769-770
Jacques de Nittis (1872-1907) est médecin, auteur dramatique et poète. Sa Venus ennemie semble être son unique roman.
L’impuissance. Lire la communication : Une impuissance érectile en 1900.
Edgar Degas, Jacques de Nittis enfant, pastel sur papier (60 x 48), collection particulière.
Histoire médicale, et pour cela seul bien plus littéraire qu’un roman de (… diable ! -c’est assez délicat à expliquer) de… l’inutilité de l’effort[1]. (Ce joli mot est de Barrés, je crois.) Gabriel Montreano est en observation chez lui-même, il s’examine, s’étudie, se flagelle, se ridiculise puis s’éprend d’un tas de choses à côté. Duel homme de lettres ! Il se regarde marcher… ou mieux s’arrêter. Il injurie ses parents, ses amis, ses supérieurs, Vénus en la personne des journaux français illustrés. On le prendrait, à certains passages, pour un membre de la ligue contre la licence des rues. C’est cynique et navrant, d’un intérêt très merveilleux. Je continue à protester en faveur de ce genre de littérature bien supérieur au naturalisme. On ne voit pas à travers un tempérament. Le tempérament ouvre ses propres yeux. Maintenant, n’oublions pas que les meilleurs des livres ne sont que des mémoires. Ainsi les prétendus romans du dix-huitième siècle. On trouve dans l’ouvrage de Jacques de Nittis une poésie mélancolique se nuançant d’orgueil qui fait songer aux Confessions de Rousseau. Or, si Jacques de Nittis, mauvais médecin, c’est-à-dire donnant une furieuse entorse à la vérité, a inventé Gabriel Montreano, c’est un excellent littérateur. Mais si, bon observateur de ses plus curieux cas de clinique, il n’a pas écrit son héros, il faut le chaudement féliciter d’avoir eu le courage de dépouiller toutes ces notes intimes avec la finesse et la cruauté d’un critique… de lettres. Les Gabriel Montreano ne sont pas tellement rares dans notre monde d’artistes pour que le type en question ne puisse servir fort à propos d’épouvantail pour ses successeurs. Vénus ennemie, l’enfant ennemi, l’armée ennemie, la pauvreté ennemie, le génie ennemi, l’homme ennemi, et en général tout ce qui nous dérange, demande une énergie, appelle un effort, tout cela explique bien des états d’âme comme par exemple qu’on pourrait représenter une nation fichue… au moins dans ce qu’il est convenu d’appeler l’élite.