Heldeu

Au tableau (Calman-Lévy)

Mercure de juin 1900, pages 756-757

Ce roman de plus de 500 pages est sous-titré Scènes de la vie militaire, ce qui donne tout de suite envie de l’acheter. Heldeu est le pseudonyme commun à Henri Fontaine de Bonnerive (1855-1931) et Jules Clément Ladislas Lubanski (1854-1906), tous deux officiers. Henri Fontaine de Bonnerive a écrit (depuis 1884) une trentaine d’ouvrages sous le pseudonyme de Georges de Lys, certains d’inspiration militaire, d’autres pas

  1. Allusion au roman de Charles Leroy Le Colonel Ramollot paru en 1883 chez Marpon et Flammarion, constamment réédité.

Ce très bon ouvrage sur la vie militaire est de Georges de Lys, ancien officier, je crois, et d’un M. X… (Il est regrettable qu’on ne connaisse pas tous les X… en littérature parce que cela peut confondre les réputations et en consolider d’autres inutilement.) Je n’aime pas beaucoup les œuvres de Georges de Lys et en voici une qui me plaît, absolument remarquable à tous les points de vue ? À qui s’en prendre ? Le tableau c’est celui de l’avancement, naturellement. Nous entrons dans la vie intime des chefs et nous pénétrons des âmes de soldats, justement ou injustement ambitieux. Un tact extraordinaire chez un romancier préside aux récits de cette lutte entre les hommes destinés au militarisme et ceux qui ont le seul désir de combattre un ennemi quelconque. Tous les types sont vrais, solidement et logiquement peints d’après nature. O’Neddy, Herron, Rabby, Cardés et toutes les têtes de colonels, de généraux n’empruntant rien à la caricature sont si sincèrement modelées qu’on espère les avoir vues autre part que dans les journaux illustrés. Cela nous change des éternels Ramollots[1] de convention. O’Neddy, le jeune officier correct, consciencieux, ambitieux de vraie gloire se dégoûte peu à peu du métier, s’efforce d’en pénétrer l’art, échoue devant le peu de chance que l’on a de se couper la gorge, puis donne sa démission, entre dans l’industrie et en sort… déshonoré sans trop savoir pourquoi. Là se trouve la réelle satire sociale, l’histoire du soldat sourd qui a pu passer au conseil de révision quand même, et le récit que son frère, un vieux retraité, simple d’esprit, vient en faire à des supérieurs qui le punissent en ignorant son infirmité est une très très belle chose. Le départ fictif des soldats et leur rentrée à la caserne après des combats blancs sont d’excellents chapitres. Les détails techniques, très en place et choisis par quelqu’un qui connaît le métier autrement que par des racontars de chambrées, ne sont pas désagréables et ne heurtent pas le lecteur déjà blasé sur ce genre terrible de roman militaire. En somme, non pas l’œuvre soldatesque ou bassement naturaliste, une œuvre supérieure écrite par un supérieur intelligent.