Paul Fort
Le Roman de Louis XI (Mercure)
Mercure de janvier 1899 pages 162-164
Un très curieux livre d’histoire, écrit par un romancier plus soucieux de la vérité morale que d’édifier ses contemporains sur son érudition. Maintenant qu’est-ce que l’auteur entend par la vérité morale ? Je pense que c’est, avant tout, ce qui peut plaire à son tempérament. En supprimant le livre sixième tout entier, les chapitres de la fin et, de côté et d’autre, des réflexions beaucoup trop spirituelles, on obtiendrait une œuvre exquise, mais ce volume est lourd, lourd à force de finesses. On le lit avec l’étonnement que l’on éprouverait à regarder le plan d’une cathédrale ancienne, plan énorme et naïf portant au centre une toute petite réduction de la bâtisse. Chaque page est achevée avant de se relier à l’autre et souvent ne se relie par aucun fil. L’auteur s’amuse et muse autour de son héros, c’est même miracle que Louis XI, qu’il connaît si bien, ne lui flanque pas une pile d’amitié, je dirais presque de circonstance. Le style, prose rythmée, fait songer à un poème dont l’auteur, mécontent, aurait enlevé les mauvaises rimes, pour les remplacer par de meilleures assonances. Fit-il mieux, fit-il pire ? On ne sait. À la longue, cela fatigue, et c’est trop de minutieux labeurs pour si peu de résultat. La maîtrise réelle de ces ciselures demanderait plus de composition générale. Or, 422 pages en cette musique absolument captivante dès les premières, c’est trop. La perfection de certain chapitre, ou ballade, comme, par exemple : deux petites images pour les enfants sages, exigerait l’ordonnance plus serrée de tout le reste. Des conversations sont interminables, quoique remplies de traits charmants. C’est un fouillis voulu, sans suite, un bric-à-brac terrible, dans lequel chacun peut saisir ce qui lui convient et où on est plus voleur que lecteur, c’est-à-dire s’occupant plus de ce que l’on a pris pour soi que de ce qui sera pour le voisin. J’admets parfaitement la tactique de l’auteur essayant, lui, de se soustraire à la classique exigence d’une ligne de conduite, mais pourquoi l’ordre du début quand on doit finir dans l’échevèlement des pages de la fin ? Ne pas composer du tout une œuvre est une manière de la composer… autrement, à l’expresse condition de ne pas essayer de se tenir droit en commençant. Si le Roman de Louis XI est touffu, un beau Louis XI tout neuf s’en détache cependant avec des costumes d’une précision extraordinaire. Je ne sais pas si la partie de pêche avec le compère Villon, entre deux eaux et entre deux assonances, est bien de l’époque, mais sa naïveté, sa sérénité d’après crime est d’une belle fraîcheur d’églogue. La pêche miraculeuse, cela s’intitule, je crois. Il faut lire cela pour se mieux pénétrer de la fantaisie singulière du poète. Il y a là un petit nez en velours blanc qui vaut tous les sonnets du monde. Je vous assure qu’en ces seules pages, on entend frémir un peu de vent dans les saules, et elles font oublier les kyrielles de noms inconnus, gens de lettres, de sac et de corde que Paul Fort, par bonté d’âme (un curieux homme, ce jeune homme), daigne immortaliser vers le milieu de son curieux roman.