Lucien Descaves
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En Villégiature (Ollendorff)
Mercure de septembre 1896 pages 540-541
Lucien Descaves réunit En Villégiature de tristes bourgeois, tristes de ce qu’ils voient la mer par la fenêtre de leurs yeux que le vent du large n’arrivera jamais à purifier complètement de la poussière de leurs habitudes ! Les Baduraux partagent leurs vacances avec les Gâtelier. Ceux-ci sont bien décidés à tirer tout le parti possible de ceux-là, au double point de vue hygiénique et social (L’hygiène, la société ! Deux fléaux qui ne vont plus l’un sans l’autre). Mais voilà que les Baduraux, après avoir fait le logement, y reçoivent la mort que leur apportent les Gâtelier, dont la fillette a passé en voyage. Il est à remarquer que la mort ne trouble pas le bourgeois dans les fonctions cérébrales de son état : elle est prévue, déduite, possède son coin, et, là, elle a défense de bouger (et se conforme assez naturellement à cet ordre), mais elle le trouble dans ses fonctions physiques, les plus sérieuses selon lui. Elle l’empêche de manger, de digérer, de compter, de se promener, de parler haut, de prendre ses précautions diurnes ou nocturnes, d’agir enfin selon sa direction ordinaire, qui est son bien être adapté à la préoccupation du moment. Il est clair que deux époux en vacances dans un « petit trou pas cher » ont tout calculé, sauf qu’ils y auraient à enterrer quelqu’un ! Le ménage Gâtelier jetant au ménage Baduraux ce colis funèbre est presque inconvenant. On le lui fait sentir. Et quels détails, quel emballage de ce pauvre cadavre piétiné par la rapidité qu’on met à se débarrasser de lui ! Et les confidences des deux femmes, dont l’une, la mère, n’osant pas pleurer devant l’autre au nom de la politesse qu’on se doit entres gens bien élevés, est aussi criminelle que l’autre, puisqu’elle accepte cet illogique fonctionnement de tous les égoïsmes gêneurs ! Les Baduraux renvoient les Gâtelier à Paris et respirent. Avec un art très froid, parfaitement égal, dans sa froideur, à la proportion de glace suspendue dans cette atmosphère de bonne bourgeoisie correcte, ce sujet vraiment terrible est traité remarquablement par Lucien Descaves, qui semble percer à jour, de sa vrille patiente de naturaliste philosophe sachant au juste où il faut creuser, toutes les existences d’Emmurés[1].
1. Allusion aux Emmurés, roman de Lucien Descaves paru chez Stock à l’automne 1894 (daté 1895), 471 pages.