Saint-Georges de Bouhélier
La Route noire (Fasquelle)
Mercure d’avril 1900, pages 199-200
L’histoire d’une fille publique et d’un homme de lettres. Il y a de grandes chances pour que ces deux victimes des fatalités bourgeoises se rencontrent, se plaisent et bon gré mal gré se dupent l’une l’autre. Le roman de Saint-Georges de Bouhélier est écrit en un langage simple et rural qui attache. L’emphase des jeunes pages du maître naturiste commence à disparaître pour faire place au charme purement ingénu de sa véritable manière. Il est naïvement épris de vérités premières, mais quand il le dit sans penser qu’un peuple de naturalistes (!) l’écoute il est délicieux. À signaler le chapitre volupté, où il découvre les vertus toutes particulières d’une… demoiselle de félicité et où il est homme, c’est-à-dire pas malin, devant le grand enseignement qui s’appelle l’Amour. Et la prêtresse d’Éros, qui l’initie, n’a rien de vulgaire et se met à parler comme une grande dame… en pareil cas. Le poème s’achève, dans la fuite de la jeune femme avec un Théodore quelconque. Normalement cela se termine par le prêt de quelques louis que l’homme de lettres ne rend jamais, sa dignité s’y opposant. L’auteur n’a pas voulu sacrifier à cette odieuse convention littéraire qui date de Bel-Ami, et il a bien fait. Maintenant, malgré l’ingénuité et la grâce du talent incontestable de Saint-Georges de Bouhélier, il nous reste une impression gênante en refermant ce livre : on croit à de l’ironie, très voilée, mais cependant en puissance dans cette œuvre, d’apparence si simple et si fraîche.