Binet-Valmer

Le Sphinx de plâtre (Mercure)

Mercure d’avril 1900, pages 197-198

Le Suisse Jean-Auguste-Gustave Binet-Valmer (1875-1940), médecin, signe ses ouvrages Binet-Valmer. Il est le fondateur de la très classique (et très à droite) revue La Renaissance latine. Le Sphinx de plâtre est son premier roman.

Au milieu des enlacements très souples et très élégants de deux créatures perversement aimantes se débat le type douloureux de Max de Bère, un malade condamné, un phtisique d’une rare intelligence, un être à la fois clairvoyant et ivre des illuminations qui traversent, pour ceux-là seuls qui pensent en présence de la Mort, l’ombre des grandes nuits de solitude. Max possède une mère pieuse détachée du monde, mais œuvrant dans tout l’orgueil des femmes honnêtes, c’est-à-dire l’inconscience de celles qui n’ont jamais eu l’occasion d’approfondir la divinité du mal. Cette mère est doublée d’un abbé Ganlis, homme de bon conseil permanent, dirigeant vers le bien final un prochain cadavre. Le drame commence dans Athènes, la cité violette, et c’est avec grand discernement et non pour le snobisme de son livre que l’auteur choisit un premier décor classique. Max de Bère est en lutte avec les tiraillements de la foi de son enfance qui se détache de lui, comme une dent de lait, et les suggestions de la beauté, de la nature resplendissante de toutes les lueurs de la légende. Berthe Darloy, une espèce de courtisane mondaine très dangereuse parce qu’elle a lu et a beaucoup compris, s’est formé une philosophie d’artiste dilettante et recherche la volupté au fond des plus nobles instincts. Sa charité va jusqu’au sadisme. Elle aime Max parce qu’il va mourir. Elle le choisit parce que l’âme de cet homme est en train de se déshabiller de son corps et que… deux nudités valent mieux qu’une ! Mais cela ne l’empêche point de se caresser à une brune passionnée, Paola, princesse Gagliano, laquelle lui donne, en des baisers superficiels, comme un vernis de santé, sans lui ôter tout à fait le mérite de rester fidèle au mourant. Max et Berthe, unis par plus de littérature qu’il n’en faut d’ordinaire pour être heureux, se séparent sur un remords et un dégoût ; on échange les dernières caresses empoisonnées qui doivent, un jour, tuer Berthe Darloy, de même qu’un roman malsain anéantit la possibilité de goûter la vie quotidienne. Max retourne à Paris, là il retrouve Marthe, une petite fille nature, aussi dangereuse sinon plus, car elle ne pèche qu’en nature et par la nature. Il la croit sincère et elle le trompe avec son médecin, Hampton, un homme bien portant. Ici on pourrait reprocher à l’auteur de s’être servi de l’aventure Georges Sand-Musset, mais il y a des dénouements mathématiques et on ne peut guère y échapper dans la relation de la vie ordinaire. Tous les dénouements humains se ressemblent. Pendant cette trahison banale, leur malade vient frapper à leur porte. La scène est très belle, très simple et chacun demeure dans son rôle avec son instinct particulier. La femme pleure sur l’assassinat moral qu’elle a commis et le médecin s’efforce de panser la blessure. Max, après avoir essayé, en dernier ressort, de se consoler de la perte de l’amour par la fondation d’œuvres sociales et l’audition des théories de l’humanitaire Chaloux, va mourir comme un petit enfant chez sa mère. Il meurt comme un naïf, si c’est être un naïf que de chercher à se grandir jusqu’aux sphinx, fût-il de plâtre, pour surprendre des secrets de noblesse et de beauté. L’écriture de ce roman est celle d’un artiste déjà très maître de sa plume et très certain de ce qu’il veut voir, ou faire voir, dans une page. Le style ne s’encombre point de ces préciosités qui donnent l’idée au lecteur de guirlandes posées sur un trou. Les descriptions, parfois osées, les dialogues amoureux, très sincères, sans trivialités inutiles, correspondent toujours au parfait dégagement du caractère de la femme ou de l’homme mis en scène. M. Binet-Valmer est un très jeune romancier et le Sphinx de plâtre est son premier roman. L’œuvre qu’il nous présente est déjà presque parfaite. Si j’ai un conseil à lui donner, qu’il n’en n’écrive pas trop comme celle-là ; on pourrait bien s’y habituer et ne pas lui en passer d’autres, plus tard ! Les gens de lettres sont généralement de si mauvaise foi !