André Bellessort
Reine Cœur (Perrin)
Mercure de juillet 1896 pages 158-159
L’histoire neutre, pour cerveaux neutres, d’une femme honnête qui est d’ailleurs un bas bleu raté, dont l’hystérie, très raisonnable, se contente de l’anonymat en littérature comme en amour. Reine Cœur est pauvre, elle est ambitieuse, un peu sans le savoir, et elle a, malgré elle, l’envie des grandes situations des femmes incomprises. Comme elle a reçu une bonne éducation religieuse, elle arrive à étouffer successivement en elle tous les germes de généreuses révoltes, germes qu’elle a le droit de juger mauvais puisqu’elle ignore le mal qu’elle commet par ses demi-mesures en tout et surtout sa demi-intelligence de puritaine. Elle s’éprend du mari de sa meilleure amie, détraque profondément le jeune ménage sous le spécieux prétexte de renonciations plus orgueilleuses que nécessaires, puis elle part, un beau matin, comme ces oiseaux de passage dont le nid n’est jamais bâti que dans celui des autres. Très bien écrit, rempli de descriptions poétiques, correct à l’imitation d’un bal de société où se meuvent, sans se connaître, des gens point corrects dont les gestes garderont, toute la nuit, leur puérilité cérémonieuse, ce livre peut se mettre entre toutes les mains des jeunes femmes, des jeunes filles, et il achèvera de fausser leur jugement avec la plus implacable des bonnes grâces.